samedi 28 janvier 2012
jeudi 26 janvier 2012
A ceux qui abandonnent leurs droits de citoyens... et aux autres...
- Je vais encore vous casser les pieds en publiant un texte qui me paraît important, original, bien ficelé, clair, novateur et surtout sans langue de bois. Il sort des sempiternels sentiers battus et des bla-blas du commun.
- Le voici donc, tout frais, tout beau! bravo et merci aux auteurs! ...:
CG
Mediapart reproduit ici un texte collectif (1) publié dans le numéro 58 de la revue «Vacarme». Après cinq ans de sarkozysme, estiment les auteurs, «voter à gauche, fût-ce pour des candidats un peu désolants, c’est (...) choisir de restaurer un climat propice à la conflictualité sociale et aux engagements citoyens».
----------
Nous, Vacarme, déclarons que nos amis qui ne votent pas et s’en justifient, tout comme les défenseurs du vote blanc, sans parler des derniers tenants du « vote révolutionnaire », commencent à nous fatiguer sérieusement. Parce qu’ils accordent bien trop d’importance au vote, au fond le sacralisent autant que le principe de représentation, et nous obligent à y penser et à produire des contre-argumentations alors qu’on aimerait bien s’en débarrasser au plus vite et passer à des questions politiques plus sérieuses ou plus drôles. Voter dans nos démocraties malades est un acte politique faible, déritualisé, sans enjeux décisifs vu la proximité des politiques suivies par les deux grands partis susceptibles de gagner. Mais cela reste, malgré l’érosion de la participation, l’acte politique le mieux partagé. Car c’est bien souvent le dernier acte politique commun que l’on peut partager non seulement avec sa famille, ses voisins de palier, sa chef ou son boulanger, mais encore, pour parler comme J. D. Salinger, avec une grosse dame que l’on ne connaît pas et que l’on ne connaîtra jamais, qui habite au loin, qui est vieille et malade, regarde toute la journée les informations dans un fauteuil en osier, mais se lèvera pour aller voter et aux deux tours. Il y a là comme un parfum de fraternité invisible et insue sur laquelle on ne crachera jamais et que les débats trop savants sur la légitimité du vote nous gâchent un peu. Il y a aussi une forme de beauté dans l’idée simplement égalitaire qu’une voix compte autant qu’une autre. S’il est certain, comme le disait autrefois Gilles Deleuze, qu’à chaque élection le niveau de connerie collective monte, et particulièrement pour les élections présidentielles, écrasant toutes les distinctions subtiles sous une lutte des camps bien plus indigeste et mensongère que la lutte des classes et diluant toutes les propositions un peu novatrices sous une langue de bois, on ne peut pas refuser complètement a priori une telle diminution de la vie de l’esprit. Ernesto Laclau a sur ce point des arguments assez costauds : pas de politique démocratique sans simplification et populisme bien compris. Ce qu’on peut entendre très simplement : aimer la politique c’est assumer aussi un certain amour de la connerie, ou une certaine pitié pour les cons (y compris, et avant tout, tous ceux qu’on cache en soi), ou au moins une dialectique un peu plus subtile entre l’esprit de finesse et l’esprit de connerie. A contrario, ceux qui refusent tout le rituel électoral et méprisent la bêtise et l’inculture de notre personnel politique, certes incontestables aujourd’hui, risquent non seulement de finir par nous dépolitiser complètement à force de raisonnements intelligents mais par ne même pas parvenir à cacher leur propre sottise (parce que crier « tous les mêmes », en termes de simplisme et de populisme, ça se pose là aussi). Pour ces deux raisons, et pour tous ceux qui partagent la même fatigue, nous avons décidé d’écrire ce texte. Nous le faisons une fois. Et puis plus jamais.
merde à la morale
On connaît les arguments pour arrêter de voter. Ils sont souvent avancés par ceux qui sont aujourd’hui le plus constamment engagés sur le terrain, et ils ont de quoi ébranler. Le vrai geste libre serait de ne pas donner sa voix, de ne pas mettre son bulletin dans l’urne, et de faire de ce refus la pointe militante d’une critique.
Pourquoi voter quand la vraie démocratie se joue ailleurs, dans les marges du jeu institutionnel ? Quand sur la Puerta del Sol, chez les Indignés, dans les mouvements Occupy, dans les associations, chez certains chercheurs, se sont inventés et se pratiquent des formes de délibération, de prise de décision et de désignation des porte-parole qui apparaissent comme des critiques en acte de la logique aristocratique de l’élection ?
Pourquoi voter pour mettre un chef à la place d’un autre, dans un régime présidentialiste qui préfère l’amour d’un seul à la délibération du Parlement, sans même parler des quartiers et des entreprises, des conseils et des soviets comme on disait autrefois ?
Pourquoi voter quand cela revient à légitimer le grand barnum des campagnes : omniprésence des sondages d’opinion et de leurs commentaires, personnalisation à outrance, imposition des problématiques par les logiques médiatiques, etc. ?
Pourquoi voter quand les programmes, en raison de la logique électorale, ne se permettent plus la moindre ambition ? Il y a quelque chose de désespérant à comparer ce que produisent les laboratoires d’idées des partis de gauche et ce qui s’énonce dans les propositions des candidats.
Pourquoi voter tous les quatre ou cinq ans quand agences de notations et marché votent au jour le jour, imposant des politiques qui ne sont pas soumises à délibération, et, le cas échéant, font et défont les gouvernements ?
Pourquoi continuer d’aller voter au terme d’une décennie traumatique, dont le principal enseignement est que les politiques tiennent si peu compte des raisons qui les ont menés au pouvoir, et parfois même des résultats ? Qu’on se souvienne de Jacques Chirac, majoritairement élu par des voix de gauche le 5 mai 2002, et qui ne tira d’autre leçon du 21 avril que la nécessité d’opérer un franc virage à droite. Qu’on se rappelle la façon dont fut entendue la victoire du « non » au référendum sur le traité constitutionnel européen (TCE) en 2005, avec l’interruption d’un processus de consultation populaire dans les autres pays d’Europe et l’adoption en 2007 d’un traité modificatif de Lisbonne qui institue, sans le moindre contrôle citoyen, ce qui avait motivé le refus du TCE deux ans auparavant. Et qu’on se rappelle plus encore la manière dont ce « non » est entendu aujourd’hui par les candidats à la présidentielle comme un appel à oublier l’Europe. À quoi bon voter quand les interprétations que ceux qui nous gouvernent ou aimeraient nous gouverner sont toujours les plus basses et les plus lâches ?
D’autant que face à de telles questions, il est insupportable de réentendre le vieux discours de la « gauche morale et responsable ». En particulier trois contre-arguments particulièrement culpabilisateurs. Celui qui rappelle que le vote est un droit acquis de haute lutte, « pour lequel beaucoup sont morts dans l’Histoire et continuent de mourir dans le monde ». Cet argument est infantilisant et revient, en gros, à dire à un môme de finir son assiette parce qu’il y a la faim dans le monde. Celui qui énonce doctement que le vote est un devoir. Parce que ce principe de morale républicaine se résume le plus souvent à une tautologie, « il faut voter parce qu’il faut voter », et exempte de s’interroger sur la désaffection du vote. Et le pire de tous, celui qui prétend que ne pas voter ou voter blanc c’est de facto voter Sarkozy, ou Hollande sinon Le Pen, en tout cas pour le vainqueur. Contre-argument d’allure sartrienne — ne pas vouloir choisir, c’est encore choisir, et acquiescer d’avance au choix majoritaire des autres — mais effectivement le plus culpabilisateur et surtout le plus bête : à raisonner comme Sartre on finit par dire que « même un enfant est responsable de la guerre » — et c’est plus que bête, c’est abject.
De surcroît, en raison même de leur moralisme culpabilisateur, ces contre-arguments sont triplement contre-productifs. Ils sont vains contre ceux qui ne votent pas pour des raisons morales : voter, sans pleine adhésion aux idées de celles et ceux pour qui on vote, sera toujours un geste impur, et on ne convainc pas des âmes morales, donc éperdues de pureté, en défendant un geste impur pour des raisons elles-mêmes morales. Ensuite, par définition, on ne convaincra pas, et même au contraire, ceux qui ne votent pas pour des raisons politiques, ne supportant plus depuis des lustres la petite morale des bien-votants comme on dit les bien-pensants. Enfin, on ne convaincra pas ceux qui ne votent pas parce qu’ils se foutent et de la morale et de la politique.
C’est pourquoi il faut en chercher d’autres, non plus moraux mais politiques. Arguments politiques contre les âmes morales qui ne votent pas : la politique n’est pas l’art de délibérer du bien mais de choisir le meilleur ou le moins pire (c’est exactement la même chose), et merde à la morale — on ne se damnera ni ne se sauvera en votant, alors arrêtons sur ce terrain. Arguments politiques contre les âmes politiques : dans quelle stratégie politique s’inscrit notre vote et dans quelle stratégie s’inscrit votre non-vote, comparons et que le meilleur convainque l’autre, c’est le jeu. Et arguments politiques contre les amoraux apolitiques parce que dans la politique, et non dans la morale, il y a toujours autre chose que de la politique et de la morale : du rire, du jeu, de la vie. Faire de la politique, c’est toujours aussi faire autre chose que de la politique. Y compris quand on vote.
C’est tout cela qu’il faut rappeler. Mais alors avec quels autres arguments, plus proprement et improprement politiques ?
communauté du non
Premier argument, le plus faible, mais le premier : votons en 2012 pour barrer la route à Sarkozy. Certes, c’est encore une fois voter contre. Mais ce vote contre aujourd’hui, cette sorte de vote noir, bilieux, atrabilaire, ce vote du pas-content-qui-ne-sourit-pas et qui s’opposerait au vote adulte, mature, engagé, réfléchi, le vote de celui qui a bien lu tous les programmes (et qui n’existe peut-être pas), ce vote dont il est coutume de se plaindre parce qu’il serait devenu le signe mélancolique de nos démocraties de masses occidentales, ce vote-là, en 2012, sera vivant. Ce président a érigé en gouvernement un système dont tout ou presque a déjà été dit. Il est temps néanmoins d’articuler nos griefs en raisons positives. Le racisme d’État qui est devenu la voix commune de tout un gouvernement, avant et après remaniement, construit un front de guerre qui a besoin de toutes les voix pour être vaincu et le vote contre se légitime alors doublement : parce qu’il articule le désir d’en finir avec une politique qui ne cesse de dresser les pauvres contre les pauvres en vertu d’une prétendue défense de la laïcité et en criminalisant sans cesse les populations issues de l’immigration, et parce qu’il veut aussi se faire l’écho de la décision historique du Sénat concernant le droit de vote des étrangers. Le vote du Sénat n’est pas seulement un vote symbolique : il programme à plus ou moins long terme au menu de la délibération parlementaire la discussion de cet enjeu dans l’histoire de la démocratie. Voter contre, c’est se donner la chance qu’une telle délibération advienne pleinement. Une autre raison de voter contre sans s’engager pleinement derrière un représentant plutôt qu’un autre : le démantèlement du service public. Si Sarkozy est réélu, en effet, c’est l’autoroute pour la mise en place durable et définitive d’un modèle néo-libéral, à la façon d’un Reagan ou d’une Thatcher auxquels le temps n’a pas manqué pour imposer un nouveau modèle de société, celui-là même que nous ne voulons pas. Sans parler du désir de se débarrasser de la république des petits chefs qui s’est insidieusement mise en place et qui gouverne les fonctionnaires à coup de mises à pied, de blâmes, de promesses de primes ou d’agitation du devoir de réserve. Enfin, la politique du fait-divers qui envahit l’espace public et qui revient à placer en criterium du politique le crime dégueulasse ou le viol immonde, nous voulons aussi, plus que tout, nous en débarrasser. Parce que nous sommes fatigués d’une clique raciste, xénophobe, autoritariste, nous prendrons donc avec joie le chemin du vote-sanction, comme l’appellent les journalistes. La criminalisation ouverte, affichée, successive de toutes les catégories les plus fragiles de la société, des mineurs transformés en délinquants aux fous transformés en déviants à enfermer, en passant par les Roms à évacuer, nous n’en voulons plus. Et d’abord pour des raisons politiques.
Car la seule question qui vaille n’est pas de savoir jusqu’à quel point le nouvel et innommé avatar de la gauche plurielle qu’on nous propose aujourd’hui contre Sarkozy pourra s’avérer réellement hermétique à la néo-libéralisation, continue depuis trente ans, du capitalisme d’aujourd’hui. La seule question est double. Elle est de savoir d’une part si, quelle que soit la forme que puisse prendre un gouvernement alternatif au sarkozysme, il pourrait s’avérer pire encore que l’actuel, et d’autre part de savoir si une politique du pire est aujourd’hui souhaitable ou non. Or, à la première question, la réponse est clairement non, ça ne peut pas être pire : quels que soient les compromis du PS avec les marchés et ses frilosités en termes de mœurs et de culture, quels que soient les absurdes calculs politiciens d’EELV et ses incompréhensibles querelles de chapelle, quels que soient les relents nationalistes douteux du mélenchonisme, ce ne peut pas être pire. De ce point de vue, peu importe pour qui l’on votera au premier tour, chacun peut faire les calculs qu’il estime justes car bien malin qui dira d’avance lesquels seront les plus justes ou les plus efficaces : l’essentiel est que s’en dégage une alternative crédible, aussi ténue soit-elle. Car à la seconde question il faut répondre non aussi. Les mouvements de contestation extra-gouvernementaux en Grèce, en Espagne, en Angleterre, se trouvent-ils mieux de faire face à des gouvernements explicitement néo-libéraux ? Qui peut le prétendre ? La question du (non)-vote du pire n’est pas une question absurde, c’est la question de l’influence du gouvernement sur les mouvements sociaux avant et après le vote. Après tout, on peut bien penser que les sept ans de giscardisme furent moins terribles que les années Mitterrand. Mais les temps ont changé et cette question nous semble exiger une réponse claire depuis trente ans : le néo-libéralisme est une nouvelle stratégie pour mettre à sac les mouvements sociaux, pour s’appuyer même dessus afin de les briser et d’aller un peu plus loin. Cette stratégie du choc et de la provocation frontale est déjà en soi une politique du pire : croire qu’on peut y résister en lui abandonnant tous les leviers institutionnels est une parfaite illusion. Il faut préférer aujourd’hui l’équipe B du capitalisme, sans aucun doute possible : non parce qu’elle serait meilleure en soi et à tous les niveaux, mais parce qu’on peut espérer davantage lui résister.
du contre au pour : des impôts et des écoles
Si l’on en croit les programmes de tous les candidats à la gauche de Bayrou, il y a au moins un point où le vote contre peut devenir un vote pour : l’impôt. Changer profondément la fiscalité française, c’est-à-dire reprendre la main sur ce qui a été abandonné par la gauche depuis les années 1990 dans tous les pays industrialisés ou presque. Nul doute que l’idée d’une révolution fiscale ne fait rêver personne, et pourtant, elle n’est rien moins que le cœur du problème de nos sociétés.
Au moins trois arguments le prouvent : d’abord, c’est l’abaissement des taux d’imposition des ménages les plus aisés qui a contribué à réduire substantiellement les recettes fiscales et a permis de justifier que la lutte contre les déficits publics rende presque non négociables les baisses des dépenses. Ensuite, c’est l’opacité du système fiscal qui mine le lien social en entretenant, voire en créant, une méfiance généralisée, un soupçon que l’autre est toujours mieux loti que soi, ou que l’autre n’a pas eu à payer ce qui nous coûte si cher. Or, cette méfiance est non seulement le terreau de l’extrême-droite mais apparaît aujourd’hui, même aux économistes (voir l’ouvrage remarqué de Yann Algan et Pierre Cahuc, La Société de défiance, 2006), comme un handicap majeur à l’innovation économique et plus globalement à la croissance. Enfin, ce sont les politiques fiscales qui différencient les gouvernements nationaux et manifestent les choix politiques des citoyens : face à une harmonisation à la baisse des taux d’impôt sur le revenu, face à la concurrence fiscale sur l’impôt sur les sociétés (Irlande en tête), face à la quasi-disparition des droits de succession (notamment dans l’Italie de Silvio Berlusconi) qui sont pourtant le principal moyen de réduire un peu les inégalités à la naissance, ou plutôt d’empêcher la formation d’aristocraties économiques figées, il est plus que temps de hurler.
Hurler que nous ne voulons plus que les plus riches voient leurs contributions diminuer quand la TVA pèse plus lourdement sur les plus pauvres. Hurler que nous savons aujourd’hui que l’impôt sur le revenu en France est régressif surtout pour les 0,1% les plus riches (qui en moyenne ont un taux d’imposition de 35% contre plus de 40% pour les 10% les plus démunis). Hurler que ce système inégalitaire est miné par les niches fiscales, les exemptions de taxation sur les hauts revenus et surtout par la moindre taxation des revenus du capital.
Car, après tout, ce n’est pas comme si nous ne savions pas où tout ceci nous mène : les États-Unis et la Grande-Bretagne nous ont montré la voie, et les résultats parlent d’eux-mêmes. Plus de 46 millions d’Américains vivent désormais sous le seuil de pauvreté (fixé à 22 000 dollars par an pour une famille de quatre personnes), « un record depuis 52 ans que le bureau de recensement comptabilise ces données » (selon Thomas Cantaloube, Mediapart, 15 septembre 2011). « En dollars constants, le revenu moyen d’un foyer a diminué de 7% depuis son apogée en 1999 et se retrouve au même niveau qu’en 1996 » ; et toujours depuis 1999, « les 10% de foyers les plus pauvres ont perdu 12,1% de leurs revenus […] alors que les 10% les plus riches perdaient seulement 1,5%. Quant aux 1% des foyers les plus riches des États-Unis, ils ont vu leurs revenus augmenter, et aujourd’hui, ils gagnent autant que la moitié la plus pauvre du pays ! ».
Quant au Royaume Uni, la dernière enquête de l’OCDE sur les inégalités estime qu’il est le quatrième pays (après le Mexique, les États-Unis et Israël) à avoir connu la plus forte progression des inégalités. Les 10% les plus riches y ont en effet vu leur revenu réel croître en moyenne de 2,5% du milieu des années 1980 à la fin des années 2000 alors que les 10% les plus pauvres n’ont vu le leur augmenter en moyenne que de 0,9% par an. C’est encore pire en Israël où le premier décile a connu une croissance moyenne de son revenu réel de 2,4% tandis que le dernier décile a subi une baisse du sien de 1,1% en moyenne par an. Plus généralement, dans la zone OCDE « le revenu moyen du décile le plus riche de la population est aujourd’hui environ neuf fois celui du décile le plus pauvre, soit un ratio de 9 à 1. Ce ratio est toutefois très variable d’un pays à l’autre. Il est très inférieur à la moyenne de l’OCDE dans les pays nordiques et dans de nombreux pays d’Europe continentale, mais monte à 10 en Corée, en Italie, au Japon et au Royaume Uni ; à 14 aux États-Unis, en Israël et en Turquie : et à 27 au Chili et au Mexique » (p. 3 du résumé du rapport de l’OCDE).
Or l’un des enseignements de ce rapport est le constat que jusqu’au milieu des années 1990 « les dispositifs fiscaux et sociaux de nombreux pays de l’OCDE compensaient plus de la moitié de la hausse des inégalités des revenus marchands. [Mais] alors que ces inégalités ont poursuivi leur progression après le milieu des années 1990, la plus grande part de l’effet de stabilisation des impôts et des prestations sur les inégalités de revenus des ménages a reculé » (p. 17). Ainsi, une refonte de la fiscalité visant à lui redonner, ainsi qu’à la politique sociale, les moyens de corriger beaucoup plus fortement les inégalités de revenus des ménages est bien indispensable, même l’OCDE le suggère ! Évidemment, une telle révolution fiscale ne saurait faire changer à elle seule le monde, mais nous défendons qu’elle en est un moyen incontournable, à mettre en œuvre immédiatement.
Par ailleurs, et parce que nous pensons, avec l’OCDE, que « toute stratégie visant à réduire la fracture croissante entre les riches et les pauvres devrait reposer sur trois grands piliers : un regain d’intensité des investissements dans le capital humain ; une politique solidaire en matière d’emploi ; et l’existence de politiques redistributives fiscales et sociales de qualité », il nous faut ajouter au moins une deuxième raison d’aller voter en avril prochain : l’éducation. En matière d’investissement en capital humain, l’Éducation nationale, ou l’éducation tout court, a été passablement laminée par le gouvernement de droite que nous subissons. Que la gauche fasse vraiment mieux n’est pas sûr. Mais elle pourrait difficilement faire pire. Et qu’elle annonce prendre enfin en compte, à juste titre, la maternelle et l’élémentaire, est un début qui nous intéresse — quand bien même ce ne serait qu’un début, ou un minimum.
avant, pendant, après : puissance de perturbation
Voter contre un pouvoir en place, voter pour une partie de programme, ne fait sauter personne de joie. Mais reste dans l’expression populaire qu’est le vote la possibilité d’une perturbation rappelant à ceux qui l’auraient oubliée que nos gouvernants préféreraient faire sans nous. Quand François Baroin, ministre de l’Économie et des Finances, explique à l’Assemblée Nationale que les socialistes sont arrivés au pouvoir en 1997 « par effraction », il nous donne l’agréable — et inquiétante il faut l’avouer — impression que certaines victoires électorales parfaitement régulières sont ressenties comme des cambriolages. Quand presque partout en Europe s’élèvent les protestations de responsables politiques contre l’idée saugrenue de l’ex-Premier Ministre grec Georges Papandréou de soumettre l’accord passé entre l’Union européenne et son pays à un référendum populaire, les masques tombent : aurait-il été si fou de demander aux Grecs leur avis ? Certes, ces ingrats de Grecs auraient pu refuser. Mais n’est-ce pas ce qu’on appelle la démocratie ? Aussi paradoxal que cela puisse paraître, nos élus craignent le vote. Impossible alors de ne pas profiter de ce rare pouvoir qu’ils nous concèdent.
D’ailleurs, le refus de la droite d’étendre le droit de vote aux étrangers aux élections locales, et le peu d’empressement de la gauche à l’imposer, constituent une autre manifestation de son pouvoir perturbateur. Le vote des résidents extra-communautaires fait peur à la majorité gouvernementale, à l’image de Claude Guéant, le ministre de l’Intérieur, qui brandit la menace communautariste, les étrangers étant voués, selon lui, à choisir des non-Français pour représentants. Ce vote inquiète au-delà tous ceux qui considèrent que cette question n’est pas une priorité ou qui refusent de délier citoyenneté et nationalité aux élections locales, au point d’exclure environ deux millions d’individus de la communauté politique.
Les étrangers ne sont pas les seuls à être mis au ban. Les jeunes, les pauvres, les « nomades » et les détenus sont aussi tenus à l’écart. Nombre d’électeurs en effet ne se déplacent pas lors des élections, non par choix, mais parce qu’ils sont de fait écartés du vote. Aux obstacles dressés sur le chemin des nouveaux inscrits s’ajoutent les difficultés liées à la condition de domiciliation. Depuis la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions, votée le 29 juillet 1998, les personnes sans domicile fixe peuvent, en principe, s’inscrire sur les listes en demandant le rattachement à un organisme d’accueil, mais faute de réelle campagne d’information, ce texte a peu d’effets. Les gens du voyage bénéficient, eux, d’un dispositif dérogatoire, qui se révèle plus discriminant qu’efficace : ils doivent justifier de trois ans d’installation dans une commune, contre six mois selon la règle générale. Parmi les détenus qui ne sont pas déchus de leurs droits civiques, rares sont ceux qui exercent leurs droits car ceux-ci sont largement subordonnés à la volonté défaillante de l’administration pénitentiaire. Le peu d’efforts consacrés par les responsables politiques à intégrer ces ignorés du vote devrait être considéré comme un autre signe de la capacité perturbatrice du vote.
Cette puissance du vote se lit aussi, en creux, dans les moments où les personnes au pouvoir ne l’ont pas pris en compte. Or ne pas vouloir prendre en compte l’expression de la volonté populaire exprimée dans les urnes est un très mauvais calcul. Ni les institutions européennes, ni les gouvernements nationaux ne se sont saisis des référendum français et hollandais sur la Constitution européenne, en 2005, pour mettre en œuvre une Europe plus démocratique. Et c’est aussi ce qui fragilise le projet européen aujourd’hui. La puissance du vote, c’est que son résultat, s’il peut être ignoré, n’est jamais sans conséquence.
De ce dernier point de vue, aussi important que le moment d’avant le vote, importe le moment d’après le vote. Or comment penser les stratégies sociales d’après vote sans penser au vote lui-même ? On ne peut que soutenir une conception pleinement pragmatique du vote parce qu’elle est paradoxalement un bon gage pour l’avenir : savoir que l’on vote pour se donner de meilleures conditions pour les luttes et résistances qui suivront, c’est se préserver d’avance de la déception et de la désillusion. Il faut se souvenir ici que les fers de lance des déçus du socialisme, du blairisme et de l’obamisme sont constitués très majoritairement à la fois par ceux qui n’avaient pas voté pour eux et par ceux qui n’avaient fait que voter pour eux.
merde aux croyants
Considérer que le vote est question moins d’espérance et de crainte que de calcul stratégique, c’est se prémunir d’avance contre ces postures boudeuses et infantiles. « Ah, Mitterrand, tu m’as bien déçu », c’est la rengaine chantée par ceux qui refusent de penser sincèrement le vote pour ce qu’il est : un simple moment dans un faisceau de stratégies politiques plus larges.
Défendre une conception pragmatique, non simplement de son vote, mais surtout du moment politique du vote, c’est renoncer d’avance à l’illusion qu’il puisse « changer la vie » et le détacher de ce qu’il trimbale encore de sacralité, de fétichisme et de croyance. Le vote que nous défendons n’est pas un vote de croyance : ce n’est pas le vote de ceux qui ne croient plus, ni le vote de ceux qui espèrent croire, c’est celui qui refuse la téléologie du vote, pour privilégier les pensées du possible.
Ce qui suppose de découpler le vote de l’idée de la représentation : si l’on observe l’offre politique actuelle, il faut beaucoup d’abnégation en effet pour espérer être représenté par les technocrates du PS, et beaucoup d’illusion pour envisager que sa voix puisse être seulement portée par eux. Il faut rien moins qu’une fiction, mais une fiction de celles qui ouvrent la porte à toutes les désillusions, et conduisent à dire que la gauche est, somme toute, pire que la droite, parce qu’elle déçoit toutes les espérances. Sauf que si c’était le cas, et suivant le principe rationnel, éminemment défendu par Spinoza, qu’entre deux maux il faut toujours choisir le moindre — y compris quand il s’agit d’une tristesse — il faudrait voter à droite.
Mais cela revient aussi à renoncer gaiement à l’idée d’un vote de confiance, fut-il conditionnel. Car il n’y a aucune raison de faire confiance à des gouvernants : les logiques de carrière politique, comme les jeux d’appareils, et sans parler même de ce qui est si souvent advenu des promesses électorales, n’inspirent ni ne justifient la moindre confiance. Mais il n’y a pas là de quoi renoncer au vote, et pas davantage de raisons de s’y rendre comme on va se pendre. Bien au contraire : car un vote allégé de sa confiance se voit affecté, en retour, d’une positivité stratégique. Il assume pleinement de n’être qu’un moment, parmi d’autres, de l’expression et du combat politique.
Vacarme a suffisamment soutenu que les mobilisations des gouvernés, loin de se limiter à l’expression d’une indignation, constituent pleinement une politique, pour savoir aussi que cette politique-là ne peut être indifférente à la sphère gouvernementale. Car la défiance dont elle procède à l’égard des gouvernements, et qui n’a nullement vocation à être résorbée, va de pair avec un travail constant pour leur imposer des formes de problématisation différentes et pour leur arracher de nouveaux droits, de nouvelles libertés, de nouvelles extensions du domaine de l’égalité. Or dans une telle perspective, la question de savoir qui occupe le pouvoir est cruciale. Ce n’est pas seulement une question de programme. C’est avant tout une question de marge de manœuvre. Voter, c’est choisir, parmi les candidats, ceux sur qui la critique des manières de gouverner, la mise en lumière du grand écart entre les pratiques et les principes dont elles s’autorisent, a le plus de chance de peser. C’est opter pour ceux que les mouvements de gouvernés sauront le mieux embarrasser. Et c’est aussi, par voie de conséquence, désigner des gouvernants sous le régime desquels de tels mouvements ont le plus de chances et de raisons d’advenir.
Dès lors, renoncer à participer aux échéances électorales au motif qu’elles seraient sans commune mesure avec des modes d’expérimentation politique plus démocratiques, est aussi stérile que souscrire à l’idée, fondamentalement rousseauiste, que le tout de la démocratie se joue dans les urnes une fois tous les quatre ou cinq ans, comme voudraient le faire croire tant de politiques et de commentateurs professionnels. Le peuple a voté ! et il n’a plus qu’à se taire. Qu’on se souvienne des argumentaires sarkozystes au moment de la réforme de la retraite : « Dans le fond, vous avez voté pour ce président, aussi votre contestation n’est pas légitime ». C’est le propre des régimes démocratiques autoritaires que de centrer toute la liberté politique sur le vote à l’exclusion de toutes les autres pratiques, en tentant même de les opposer les unes aux autres : la manifestation, légitime certes, mais moins légitime que le vote présidentiel, la grève, légitime certes, etc.… Mais l’abandon du vote n’est que l’envers de sa sacralité piégeante. Il faut décidément cesser d’accorder trop d’importance à ce petit geste pragmatique : parions que ce ne sont pas les élections, mêmes présidentielles et avec des candidats guère florissants, qui empêchent le plus grand nombre de se révolter (hypothèse haute) ou de lire des revues et des livres (hypothèse basse). Bien au contraire. Car si l’on admet qu’une large partie des avancées sociales et politiques est le fruit d’une « bataille perpétuelle » (pour emprunter une formule de Michel Foucault) entre gouvernants et gouvernés, choisir ses gouvernants est bien un moment incontournable de cette bataille.
Mais, objectera-t-on, ne faudrait-il pas, selon cette logique, désigner le pire des gouvernements, c’est-à-dire aussi le plus susceptible de susciter contre lui des mobilisations ? On répondra que l’expérience des dernières années devrait avoir, pour l’heure, disqualifié le scénario, cent fois annoncé et toujours démenti, des troisièmes tours sociaux. Loin de favoriser les investissements militants et syndicaux, le durcissement continu de la droite a eu pour effet, au mieux, de les acculer dans des combats pour la conservation de ce qui pouvait encore être sauvé face à une entreprise systématique de restriction des libertés publiques et d’accroissement des inégalités, au pire de les décourager. On ne s’est plus battu, ces dernières années, pour arracher des droits, mais pour empêcher qu’ils soient restreints. On n’a plus lutté pour le droit de vote des étrangers, pour la liberté de circulation, pour repenser l’enseignement secondaire et supérieur, on s’est mobilisé au cas par cas pour empêcher telle ou telle expulsion, on a tenté de faire front contre la mise à bas des protections dont bénéficiaient les étrangers malades, pourtant gagnées de haute lutte à la fin des années 1990, on a résisté contre la loi Libertés et responsabilités des universités adoptée contre la presque totalité des communautés universitaires. Ces combats ont tous été perdus, épuisant souvent les forces de ceux qui s’y étaient engagés. Et la tendance, amorcée depuis 2002, à la criminalisation du militantisme s’est encore aggravée.
Faut-il rappeler que la France est l’un des pays démocratiques où le droit de manifester sur la place publique est le plus sévèrement contrôlé ? Les Indignés de la Défense le savent, qui se sont efforcés pendant quelques semaines de préserver leurs maigres campements contre des assauts musclés de la Police sous les yeux ahuris des compagnons de route espagnols ou américains de passage. Quant aux autres formes d’occupations de l’espace public, occupations des locaux, manifestations de sans-papiers, occupations des logements vides, distributions de tentes, elles sont presque toujours menacées du spectre de l’illégal !
Voter à gauche, fût-ce pour des candidats un peu désolants, c’est donc choisir de restaurer un climat propice à la conflictualité sociale et aux engagements citoyens. Historiquement, l’extension du suffrage s’est accompagnée d’autres modes d’expression (développement des libertés publiques, rassemblements dans les rues, associations, théâtre militant critique). Jamais le suffrage — quand il a été pensé universel pour la seconde République — n’a été conçu seul, isolé des autres libertés. Par la suite, s’il demeure mais seulement détaché, coupé des autres libertés, alors la république ne se maintient plus que comme un spectre dont le coup de grâce est très vite donné par le coup d’État du 2 décembre puis par le plébiscite. On peut, par ailleurs, trouver parfois fatigante l’invocation incantatoire de 1936, comme si ce moment constituait le seul horizon de la gauche française, mais l’ampleur du mouvement de grèves qui suit immédiatement l’élection du Front populaire et prélude aux accords de Matignon, ainsi que l’augmentation considérable des adhésions syndicales qui s’ensuit, restent une référence. L’histoire, bien sûr, ne se répétera pas — impossible de croire aujourd’hui dans la conjonction de l’état de grâce et de l’ardeur militante qui caractérisa autrefois les débuts du Front populaire ; passée la joie d’en finir avec Sarkozy, il n’y aura pas d’état de grâce et ce sera très bien ainsi. Mais il faut travailler dès maintenant, dès avant le vote, pour qu’après le vote tous les mouvements sociaux encore vivants se saisissent de l’occasion pour empêcher que la brèche ouverte par la victoire électorale se referme trop vite : il y a aussi des Puerta del Sol et des Wall Street à occuper en France.
On aimerait croire, du reste, que les candidats actuels de la gauche comptent aussi sur ce scénario, qu’ils n’ont pas oublié le désastre de la gauche plurielle conduite par Lionel Jospin, dont l’accession au pouvoir doit beaucoup à l’énergie sociale et populaire de décembre 1995 ainsi qu’à celle des mobilisations des sans-papiers, des précaires, etc. qui animèrent les mois précédant l’élection : on sait comme elle s’appliqua aussitôt à éteindre cette énergie, réaffirmant la distinction entre gauche « politique » et gauche « sociale » et concédant hautainement à cette dernière quelques « guichets » où déposer des doléances renvoyées à leur « irréalisme ». Nous le payons encore aujourd’hui. Une fois au gouvernement, la gauche devra désormais savoir qu’elle a tout intérêt à trouver dans la rue, dans les syndicats, dans les mobilisations associatives, des contre-pouvoirs dont elle pourra s’autoriser pour secouer, notamment, le joug des marchés financiers, ou pour adopter des lois que la pusillanimité des candidats les font, au mieux, soutenir du bout des lèvres.
Si nous pensons en somme qu’il faut aller voter, c’est aussi pour obtenir que le moment du vote soit configuré autrement, en amont comme en aval. Car un peuple qui fait suffisamment peur pour qu’on ne se moque pas de lui, ce n’est pas un peuple qui dispose seulement du droit de vote mais un peuple « constamment délibérant ». C’est ainsi que les Thermidoriens avaient stigmatisé la période de l’an II, effrayante à leurs yeux car le peuple y était en effet sur le qui-vive, surveillant la qualité des lois qui se faisaient en son nom, surveillant la qualité des hommes qui agissaient en son nom, se réunissant très régulièrement pour ce faire dans des sections de quartier. C’est cette délibération qu’il s’agit de reconquérir et pour pouvoir lui donner forme, reconquérir des lieux. Nous sommes nombreux à avoir fait l’amère expérience de nous voir refuser une salle municipale pour avoir annoncé que l’enjeu de la réunion projetée n’était pas de faire du macramé mais bien de réfléchir collectivement et politiquement sans pour autant appartenir à un parti. La vie culturelle a été une manière de chasser la vie politique de proximité, celle où l’on noue les émotions et la raison dans la co-présence des corps. Et ce ne sont pas les conseils de quartier qui ne s’occupent que du quartier qui peuvent venir combler le manque, car la politique qui intéresse tout le monde dépasse bien sûr les bornes du quartier. Il faut voter pour réclamer que le vote ne soit plus tributaire d’un espace public confisqué aux simples quidams par les seuls partis et leur financement. Il faut voter pour arracher des lieux du politique. Pour pouvoir construire les rapports de force, les argumentaires, les outils, faire du vote un moment procédural et non l’alpha et l’oméga de la vie politique française, européenne, mondiale. Il faut entendre que si le vote n’est pas l’assurance d’une maturité démocratique, la capacité de tous à devenir des citoyens délibérant sur les affaires publiques passe par lui, a besoin de passer par lui.
« Il faut, disait Nicolas de Bonneville en 1791, que le peuple dont la liberté n’est pas imperturbablement affermie soit toujours sur le qui vive, il doit craindre le repos comme l’avant coureur de son indifférence pour le bien public et se faire une habitude de contredire et de disputer pour n’être pas la dupe de tant de vertus vraies ou affectées par lesquelles on pourrait le tromper. » Une telle vigilance ne sera possible en aval que parce qu’elle aura été réfléchie en amont. On ne construit pas des rapports de force seul devant son téléviseur le soir des élections, mais en affirmant qu’occuper le vote est déjà un bon prélude pour occuper le terrain. Car si l’espace public nous a été volé comme on nous vole notre temps, il nous appartient.
conclusion en forme de post-scriptum
Dans un esprit d’impartialité on voudrait rappeler pour finir que, s’il y a de mauvais arguments pour ne pas aller voter les 22 avril, 6 mai, 10 et 17 juin prochains, il y a pléthore de bons : être étranger et se voir refuser ses demandes de naturalisation depuis 15 ans ; avoir moins de 18 ans ; être déchu de ses droits civiques ; avoir perdu son emploi sous Mitterrand et sa maison sous Jospin ; se faire voler tous ses papiers le matin du vote ; partir le matin des élections vers son bureau de vote et se faire renverser par une voiture ; se faire renverser par une voiture la veille des élections, même l’avant-veille, même par une moto, même une semaine avant si le choc fut mortel ; plus généralement mourir avant le vote d’un accident quelconque, ou d’un cancer, d’une leucémie, d’une attaque cardio-vasculaire, de la grippe espagnole, du rhume (dans tous ces cas, vraiment, soyons justes, rien à redire) ; être dans le coma ; apprendre au moment de rentrer dans l’isoloir que son mari et ses sept enfants viennent de périr dans un incendie ; être interné pour crise mélancolique grave le matin du premier tour, même le matin du second tour ; oublier jusqu’à son propre nom le jour J et errer toute la journée dans les rues en se demandant tout du long pourquoi cette hâte et ce sentiment d’urgence inquiet ; souffrir d’un raptus amnésique et ne plus se souvenir que Nicolas Sarkozy est notre président depuis cinq ans et risque de le demeurer. Tout de même, il y aurait là l’embarras du choix.
(1) Signé par Vincent Casanova, Joseph Confavreux (journaliste à Mediapart), Xavier de La Porte, Laurence Duchêne, Dominique Dupart, Carine Fouteau (journaliste à Mediapart), Aude Lalande, Philippe Mangeot, Victoire Patouillard, Antoine Perrot, Laure Vermeersch, Sophie Wahnich, Lise Wajeman et Pierre Zaoui.
Vacarme est une revue trimestrielle, publiée sur papier et archivée en ligne, à l'intersection de l'engagement politique, de l'expérimentation artistique et de la recherche scientifique.
- Le voici donc, tout frais, tout beau! bravo et merci aux auteurs! ...:
CG
Mediapart reproduit ici un texte collectif (1) publié dans le numéro 58 de la revue «Vacarme». Après cinq ans de sarkozysme, estiment les auteurs, «voter à gauche, fût-ce pour des candidats un peu désolants, c’est (...) choisir de restaurer un climat propice à la conflictualité sociale et aux engagements citoyens».
----------
Nous, Vacarme, déclarons que nos amis qui ne votent pas et s’en justifient, tout comme les défenseurs du vote blanc, sans parler des derniers tenants du « vote révolutionnaire », commencent à nous fatiguer sérieusement. Parce qu’ils accordent bien trop d’importance au vote, au fond le sacralisent autant que le principe de représentation, et nous obligent à y penser et à produire des contre-argumentations alors qu’on aimerait bien s’en débarrasser au plus vite et passer à des questions politiques plus sérieuses ou plus drôles. Voter dans nos démocraties malades est un acte politique faible, déritualisé, sans enjeux décisifs vu la proximité des politiques suivies par les deux grands partis susceptibles de gagner. Mais cela reste, malgré l’érosion de la participation, l’acte politique le mieux partagé. Car c’est bien souvent le dernier acte politique commun que l’on peut partager non seulement avec sa famille, ses voisins de palier, sa chef ou son boulanger, mais encore, pour parler comme J. D. Salinger, avec une grosse dame que l’on ne connaît pas et que l’on ne connaîtra jamais, qui habite au loin, qui est vieille et malade, regarde toute la journée les informations dans un fauteuil en osier, mais se lèvera pour aller voter et aux deux tours. Il y a là comme un parfum de fraternité invisible et insue sur laquelle on ne crachera jamais et que les débats trop savants sur la légitimité du vote nous gâchent un peu. Il y a aussi une forme de beauté dans l’idée simplement égalitaire qu’une voix compte autant qu’une autre. S’il est certain, comme le disait autrefois Gilles Deleuze, qu’à chaque élection le niveau de connerie collective monte, et particulièrement pour les élections présidentielles, écrasant toutes les distinctions subtiles sous une lutte des camps bien plus indigeste et mensongère que la lutte des classes et diluant toutes les propositions un peu novatrices sous une langue de bois, on ne peut pas refuser complètement a priori une telle diminution de la vie de l’esprit. Ernesto Laclau a sur ce point des arguments assez costauds : pas de politique démocratique sans simplification et populisme bien compris. Ce qu’on peut entendre très simplement : aimer la politique c’est assumer aussi un certain amour de la connerie, ou une certaine pitié pour les cons (y compris, et avant tout, tous ceux qu’on cache en soi), ou au moins une dialectique un peu plus subtile entre l’esprit de finesse et l’esprit de connerie. A contrario, ceux qui refusent tout le rituel électoral et méprisent la bêtise et l’inculture de notre personnel politique, certes incontestables aujourd’hui, risquent non seulement de finir par nous dépolitiser complètement à force de raisonnements intelligents mais par ne même pas parvenir à cacher leur propre sottise (parce que crier « tous les mêmes », en termes de simplisme et de populisme, ça se pose là aussi). Pour ces deux raisons, et pour tous ceux qui partagent la même fatigue, nous avons décidé d’écrire ce texte. Nous le faisons une fois. Et puis plus jamais.
merde à la morale
On connaît les arguments pour arrêter de voter. Ils sont souvent avancés par ceux qui sont aujourd’hui le plus constamment engagés sur le terrain, et ils ont de quoi ébranler. Le vrai geste libre serait de ne pas donner sa voix, de ne pas mettre son bulletin dans l’urne, et de faire de ce refus la pointe militante d’une critique.
Pourquoi voter quand la vraie démocratie se joue ailleurs, dans les marges du jeu institutionnel ? Quand sur la Puerta del Sol, chez les Indignés, dans les mouvements Occupy, dans les associations, chez certains chercheurs, se sont inventés et se pratiquent des formes de délibération, de prise de décision et de désignation des porte-parole qui apparaissent comme des critiques en acte de la logique aristocratique de l’élection ?
Pourquoi voter pour mettre un chef à la place d’un autre, dans un régime présidentialiste qui préfère l’amour d’un seul à la délibération du Parlement, sans même parler des quartiers et des entreprises, des conseils et des soviets comme on disait autrefois ?
Pourquoi voter quand cela revient à légitimer le grand barnum des campagnes : omniprésence des sondages d’opinion et de leurs commentaires, personnalisation à outrance, imposition des problématiques par les logiques médiatiques, etc. ?
Pourquoi voter quand les programmes, en raison de la logique électorale, ne se permettent plus la moindre ambition ? Il y a quelque chose de désespérant à comparer ce que produisent les laboratoires d’idées des partis de gauche et ce qui s’énonce dans les propositions des candidats.
Pourquoi voter tous les quatre ou cinq ans quand agences de notations et marché votent au jour le jour, imposant des politiques qui ne sont pas soumises à délibération, et, le cas échéant, font et défont les gouvernements ?
Pourquoi continuer d’aller voter au terme d’une décennie traumatique, dont le principal enseignement est que les politiques tiennent si peu compte des raisons qui les ont menés au pouvoir, et parfois même des résultats ? Qu’on se souvienne de Jacques Chirac, majoritairement élu par des voix de gauche le 5 mai 2002, et qui ne tira d’autre leçon du 21 avril que la nécessité d’opérer un franc virage à droite. Qu’on se rappelle la façon dont fut entendue la victoire du « non » au référendum sur le traité constitutionnel européen (TCE) en 2005, avec l’interruption d’un processus de consultation populaire dans les autres pays d’Europe et l’adoption en 2007 d’un traité modificatif de Lisbonne qui institue, sans le moindre contrôle citoyen, ce qui avait motivé le refus du TCE deux ans auparavant. Et qu’on se rappelle plus encore la manière dont ce « non » est entendu aujourd’hui par les candidats à la présidentielle comme un appel à oublier l’Europe. À quoi bon voter quand les interprétations que ceux qui nous gouvernent ou aimeraient nous gouverner sont toujours les plus basses et les plus lâches ?
D’autant que face à de telles questions, il est insupportable de réentendre le vieux discours de la « gauche morale et responsable ». En particulier trois contre-arguments particulièrement culpabilisateurs. Celui qui rappelle que le vote est un droit acquis de haute lutte, « pour lequel beaucoup sont morts dans l’Histoire et continuent de mourir dans le monde ». Cet argument est infantilisant et revient, en gros, à dire à un môme de finir son assiette parce qu’il y a la faim dans le monde. Celui qui énonce doctement que le vote est un devoir. Parce que ce principe de morale républicaine se résume le plus souvent à une tautologie, « il faut voter parce qu’il faut voter », et exempte de s’interroger sur la désaffection du vote. Et le pire de tous, celui qui prétend que ne pas voter ou voter blanc c’est de facto voter Sarkozy, ou Hollande sinon Le Pen, en tout cas pour le vainqueur. Contre-argument d’allure sartrienne — ne pas vouloir choisir, c’est encore choisir, et acquiescer d’avance au choix majoritaire des autres — mais effectivement le plus culpabilisateur et surtout le plus bête : à raisonner comme Sartre on finit par dire que « même un enfant est responsable de la guerre » — et c’est plus que bête, c’est abject.
De surcroît, en raison même de leur moralisme culpabilisateur, ces contre-arguments sont triplement contre-productifs. Ils sont vains contre ceux qui ne votent pas pour des raisons morales : voter, sans pleine adhésion aux idées de celles et ceux pour qui on vote, sera toujours un geste impur, et on ne convainc pas des âmes morales, donc éperdues de pureté, en défendant un geste impur pour des raisons elles-mêmes morales. Ensuite, par définition, on ne convaincra pas, et même au contraire, ceux qui ne votent pas pour des raisons politiques, ne supportant plus depuis des lustres la petite morale des bien-votants comme on dit les bien-pensants. Enfin, on ne convaincra pas ceux qui ne votent pas parce qu’ils se foutent et de la morale et de la politique.
C’est pourquoi il faut en chercher d’autres, non plus moraux mais politiques. Arguments politiques contre les âmes morales qui ne votent pas : la politique n’est pas l’art de délibérer du bien mais de choisir le meilleur ou le moins pire (c’est exactement la même chose), et merde à la morale — on ne se damnera ni ne se sauvera en votant, alors arrêtons sur ce terrain. Arguments politiques contre les âmes politiques : dans quelle stratégie politique s’inscrit notre vote et dans quelle stratégie s’inscrit votre non-vote, comparons et que le meilleur convainque l’autre, c’est le jeu. Et arguments politiques contre les amoraux apolitiques parce que dans la politique, et non dans la morale, il y a toujours autre chose que de la politique et de la morale : du rire, du jeu, de la vie. Faire de la politique, c’est toujours aussi faire autre chose que de la politique. Y compris quand on vote.
C’est tout cela qu’il faut rappeler. Mais alors avec quels autres arguments, plus proprement et improprement politiques ?
communauté du non
Premier argument, le plus faible, mais le premier : votons en 2012 pour barrer la route à Sarkozy. Certes, c’est encore une fois voter contre. Mais ce vote contre aujourd’hui, cette sorte de vote noir, bilieux, atrabilaire, ce vote du pas-content-qui-ne-sourit-pas et qui s’opposerait au vote adulte, mature, engagé, réfléchi, le vote de celui qui a bien lu tous les programmes (et qui n’existe peut-être pas), ce vote dont il est coutume de se plaindre parce qu’il serait devenu le signe mélancolique de nos démocraties de masses occidentales, ce vote-là, en 2012, sera vivant. Ce président a érigé en gouvernement un système dont tout ou presque a déjà été dit. Il est temps néanmoins d’articuler nos griefs en raisons positives. Le racisme d’État qui est devenu la voix commune de tout un gouvernement, avant et après remaniement, construit un front de guerre qui a besoin de toutes les voix pour être vaincu et le vote contre se légitime alors doublement : parce qu’il articule le désir d’en finir avec une politique qui ne cesse de dresser les pauvres contre les pauvres en vertu d’une prétendue défense de la laïcité et en criminalisant sans cesse les populations issues de l’immigration, et parce qu’il veut aussi se faire l’écho de la décision historique du Sénat concernant le droit de vote des étrangers. Le vote du Sénat n’est pas seulement un vote symbolique : il programme à plus ou moins long terme au menu de la délibération parlementaire la discussion de cet enjeu dans l’histoire de la démocratie. Voter contre, c’est se donner la chance qu’une telle délibération advienne pleinement. Une autre raison de voter contre sans s’engager pleinement derrière un représentant plutôt qu’un autre : le démantèlement du service public. Si Sarkozy est réélu, en effet, c’est l’autoroute pour la mise en place durable et définitive d’un modèle néo-libéral, à la façon d’un Reagan ou d’une Thatcher auxquels le temps n’a pas manqué pour imposer un nouveau modèle de société, celui-là même que nous ne voulons pas. Sans parler du désir de se débarrasser de la république des petits chefs qui s’est insidieusement mise en place et qui gouverne les fonctionnaires à coup de mises à pied, de blâmes, de promesses de primes ou d’agitation du devoir de réserve. Enfin, la politique du fait-divers qui envahit l’espace public et qui revient à placer en criterium du politique le crime dégueulasse ou le viol immonde, nous voulons aussi, plus que tout, nous en débarrasser. Parce que nous sommes fatigués d’une clique raciste, xénophobe, autoritariste, nous prendrons donc avec joie le chemin du vote-sanction, comme l’appellent les journalistes. La criminalisation ouverte, affichée, successive de toutes les catégories les plus fragiles de la société, des mineurs transformés en délinquants aux fous transformés en déviants à enfermer, en passant par les Roms à évacuer, nous n’en voulons plus. Et d’abord pour des raisons politiques.
Car la seule question qui vaille n’est pas de savoir jusqu’à quel point le nouvel et innommé avatar de la gauche plurielle qu’on nous propose aujourd’hui contre Sarkozy pourra s’avérer réellement hermétique à la néo-libéralisation, continue depuis trente ans, du capitalisme d’aujourd’hui. La seule question est double. Elle est de savoir d’une part si, quelle que soit la forme que puisse prendre un gouvernement alternatif au sarkozysme, il pourrait s’avérer pire encore que l’actuel, et d’autre part de savoir si une politique du pire est aujourd’hui souhaitable ou non. Or, à la première question, la réponse est clairement non, ça ne peut pas être pire : quels que soient les compromis du PS avec les marchés et ses frilosités en termes de mœurs et de culture, quels que soient les absurdes calculs politiciens d’EELV et ses incompréhensibles querelles de chapelle, quels que soient les relents nationalistes douteux du mélenchonisme, ce ne peut pas être pire. De ce point de vue, peu importe pour qui l’on votera au premier tour, chacun peut faire les calculs qu’il estime justes car bien malin qui dira d’avance lesquels seront les plus justes ou les plus efficaces : l’essentiel est que s’en dégage une alternative crédible, aussi ténue soit-elle. Car à la seconde question il faut répondre non aussi. Les mouvements de contestation extra-gouvernementaux en Grèce, en Espagne, en Angleterre, se trouvent-ils mieux de faire face à des gouvernements explicitement néo-libéraux ? Qui peut le prétendre ? La question du (non)-vote du pire n’est pas une question absurde, c’est la question de l’influence du gouvernement sur les mouvements sociaux avant et après le vote. Après tout, on peut bien penser que les sept ans de giscardisme furent moins terribles que les années Mitterrand. Mais les temps ont changé et cette question nous semble exiger une réponse claire depuis trente ans : le néo-libéralisme est une nouvelle stratégie pour mettre à sac les mouvements sociaux, pour s’appuyer même dessus afin de les briser et d’aller un peu plus loin. Cette stratégie du choc et de la provocation frontale est déjà en soi une politique du pire : croire qu’on peut y résister en lui abandonnant tous les leviers institutionnels est une parfaite illusion. Il faut préférer aujourd’hui l’équipe B du capitalisme, sans aucun doute possible : non parce qu’elle serait meilleure en soi et à tous les niveaux, mais parce qu’on peut espérer davantage lui résister.
du contre au pour : des impôts et des écoles
Si l’on en croit les programmes de tous les candidats à la gauche de Bayrou, il y a au moins un point où le vote contre peut devenir un vote pour : l’impôt. Changer profondément la fiscalité française, c’est-à-dire reprendre la main sur ce qui a été abandonné par la gauche depuis les années 1990 dans tous les pays industrialisés ou presque. Nul doute que l’idée d’une révolution fiscale ne fait rêver personne, et pourtant, elle n’est rien moins que le cœur du problème de nos sociétés.
Au moins trois arguments le prouvent : d’abord, c’est l’abaissement des taux d’imposition des ménages les plus aisés qui a contribué à réduire substantiellement les recettes fiscales et a permis de justifier que la lutte contre les déficits publics rende presque non négociables les baisses des dépenses. Ensuite, c’est l’opacité du système fiscal qui mine le lien social en entretenant, voire en créant, une méfiance généralisée, un soupçon que l’autre est toujours mieux loti que soi, ou que l’autre n’a pas eu à payer ce qui nous coûte si cher. Or, cette méfiance est non seulement le terreau de l’extrême-droite mais apparaît aujourd’hui, même aux économistes (voir l’ouvrage remarqué de Yann Algan et Pierre Cahuc, La Société de défiance, 2006), comme un handicap majeur à l’innovation économique et plus globalement à la croissance. Enfin, ce sont les politiques fiscales qui différencient les gouvernements nationaux et manifestent les choix politiques des citoyens : face à une harmonisation à la baisse des taux d’impôt sur le revenu, face à la concurrence fiscale sur l’impôt sur les sociétés (Irlande en tête), face à la quasi-disparition des droits de succession (notamment dans l’Italie de Silvio Berlusconi) qui sont pourtant le principal moyen de réduire un peu les inégalités à la naissance, ou plutôt d’empêcher la formation d’aristocraties économiques figées, il est plus que temps de hurler.
Hurler que nous ne voulons plus que les plus riches voient leurs contributions diminuer quand la TVA pèse plus lourdement sur les plus pauvres. Hurler que nous savons aujourd’hui que l’impôt sur le revenu en France est régressif surtout pour les 0,1% les plus riches (qui en moyenne ont un taux d’imposition de 35% contre plus de 40% pour les 10% les plus démunis). Hurler que ce système inégalitaire est miné par les niches fiscales, les exemptions de taxation sur les hauts revenus et surtout par la moindre taxation des revenus du capital.
Car, après tout, ce n’est pas comme si nous ne savions pas où tout ceci nous mène : les États-Unis et la Grande-Bretagne nous ont montré la voie, et les résultats parlent d’eux-mêmes. Plus de 46 millions d’Américains vivent désormais sous le seuil de pauvreté (fixé à 22 000 dollars par an pour une famille de quatre personnes), « un record depuis 52 ans que le bureau de recensement comptabilise ces données » (selon Thomas Cantaloube, Mediapart, 15 septembre 2011). « En dollars constants, le revenu moyen d’un foyer a diminué de 7% depuis son apogée en 1999 et se retrouve au même niveau qu’en 1996 » ; et toujours depuis 1999, « les 10% de foyers les plus pauvres ont perdu 12,1% de leurs revenus […] alors que les 10% les plus riches perdaient seulement 1,5%. Quant aux 1% des foyers les plus riches des États-Unis, ils ont vu leurs revenus augmenter, et aujourd’hui, ils gagnent autant que la moitié la plus pauvre du pays ! ».
Quant au Royaume Uni, la dernière enquête de l’OCDE sur les inégalités estime qu’il est le quatrième pays (après le Mexique, les États-Unis et Israël) à avoir connu la plus forte progression des inégalités. Les 10% les plus riches y ont en effet vu leur revenu réel croître en moyenne de 2,5% du milieu des années 1980 à la fin des années 2000 alors que les 10% les plus pauvres n’ont vu le leur augmenter en moyenne que de 0,9% par an. C’est encore pire en Israël où le premier décile a connu une croissance moyenne de son revenu réel de 2,4% tandis que le dernier décile a subi une baisse du sien de 1,1% en moyenne par an. Plus généralement, dans la zone OCDE « le revenu moyen du décile le plus riche de la population est aujourd’hui environ neuf fois celui du décile le plus pauvre, soit un ratio de 9 à 1. Ce ratio est toutefois très variable d’un pays à l’autre. Il est très inférieur à la moyenne de l’OCDE dans les pays nordiques et dans de nombreux pays d’Europe continentale, mais monte à 10 en Corée, en Italie, au Japon et au Royaume Uni ; à 14 aux États-Unis, en Israël et en Turquie : et à 27 au Chili et au Mexique » (p. 3 du résumé du rapport de l’OCDE).
Or l’un des enseignements de ce rapport est le constat que jusqu’au milieu des années 1990 « les dispositifs fiscaux et sociaux de nombreux pays de l’OCDE compensaient plus de la moitié de la hausse des inégalités des revenus marchands. [Mais] alors que ces inégalités ont poursuivi leur progression après le milieu des années 1990, la plus grande part de l’effet de stabilisation des impôts et des prestations sur les inégalités de revenus des ménages a reculé » (p. 17). Ainsi, une refonte de la fiscalité visant à lui redonner, ainsi qu’à la politique sociale, les moyens de corriger beaucoup plus fortement les inégalités de revenus des ménages est bien indispensable, même l’OCDE le suggère ! Évidemment, une telle révolution fiscale ne saurait faire changer à elle seule le monde, mais nous défendons qu’elle en est un moyen incontournable, à mettre en œuvre immédiatement.
Par ailleurs, et parce que nous pensons, avec l’OCDE, que « toute stratégie visant à réduire la fracture croissante entre les riches et les pauvres devrait reposer sur trois grands piliers : un regain d’intensité des investissements dans le capital humain ; une politique solidaire en matière d’emploi ; et l’existence de politiques redistributives fiscales et sociales de qualité », il nous faut ajouter au moins une deuxième raison d’aller voter en avril prochain : l’éducation. En matière d’investissement en capital humain, l’Éducation nationale, ou l’éducation tout court, a été passablement laminée par le gouvernement de droite que nous subissons. Que la gauche fasse vraiment mieux n’est pas sûr. Mais elle pourrait difficilement faire pire. Et qu’elle annonce prendre enfin en compte, à juste titre, la maternelle et l’élémentaire, est un début qui nous intéresse — quand bien même ce ne serait qu’un début, ou un minimum.
avant, pendant, après : puissance de perturbation
Voter contre un pouvoir en place, voter pour une partie de programme, ne fait sauter personne de joie. Mais reste dans l’expression populaire qu’est le vote la possibilité d’une perturbation rappelant à ceux qui l’auraient oubliée que nos gouvernants préféreraient faire sans nous. Quand François Baroin, ministre de l’Économie et des Finances, explique à l’Assemblée Nationale que les socialistes sont arrivés au pouvoir en 1997 « par effraction », il nous donne l’agréable — et inquiétante il faut l’avouer — impression que certaines victoires électorales parfaitement régulières sont ressenties comme des cambriolages. Quand presque partout en Europe s’élèvent les protestations de responsables politiques contre l’idée saugrenue de l’ex-Premier Ministre grec Georges Papandréou de soumettre l’accord passé entre l’Union européenne et son pays à un référendum populaire, les masques tombent : aurait-il été si fou de demander aux Grecs leur avis ? Certes, ces ingrats de Grecs auraient pu refuser. Mais n’est-ce pas ce qu’on appelle la démocratie ? Aussi paradoxal que cela puisse paraître, nos élus craignent le vote. Impossible alors de ne pas profiter de ce rare pouvoir qu’ils nous concèdent.
D’ailleurs, le refus de la droite d’étendre le droit de vote aux étrangers aux élections locales, et le peu d’empressement de la gauche à l’imposer, constituent une autre manifestation de son pouvoir perturbateur. Le vote des résidents extra-communautaires fait peur à la majorité gouvernementale, à l’image de Claude Guéant, le ministre de l’Intérieur, qui brandit la menace communautariste, les étrangers étant voués, selon lui, à choisir des non-Français pour représentants. Ce vote inquiète au-delà tous ceux qui considèrent que cette question n’est pas une priorité ou qui refusent de délier citoyenneté et nationalité aux élections locales, au point d’exclure environ deux millions d’individus de la communauté politique.
Les étrangers ne sont pas les seuls à être mis au ban. Les jeunes, les pauvres, les « nomades » et les détenus sont aussi tenus à l’écart. Nombre d’électeurs en effet ne se déplacent pas lors des élections, non par choix, mais parce qu’ils sont de fait écartés du vote. Aux obstacles dressés sur le chemin des nouveaux inscrits s’ajoutent les difficultés liées à la condition de domiciliation. Depuis la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions, votée le 29 juillet 1998, les personnes sans domicile fixe peuvent, en principe, s’inscrire sur les listes en demandant le rattachement à un organisme d’accueil, mais faute de réelle campagne d’information, ce texte a peu d’effets. Les gens du voyage bénéficient, eux, d’un dispositif dérogatoire, qui se révèle plus discriminant qu’efficace : ils doivent justifier de trois ans d’installation dans une commune, contre six mois selon la règle générale. Parmi les détenus qui ne sont pas déchus de leurs droits civiques, rares sont ceux qui exercent leurs droits car ceux-ci sont largement subordonnés à la volonté défaillante de l’administration pénitentiaire. Le peu d’efforts consacrés par les responsables politiques à intégrer ces ignorés du vote devrait être considéré comme un autre signe de la capacité perturbatrice du vote.
Cette puissance du vote se lit aussi, en creux, dans les moments où les personnes au pouvoir ne l’ont pas pris en compte. Or ne pas vouloir prendre en compte l’expression de la volonté populaire exprimée dans les urnes est un très mauvais calcul. Ni les institutions européennes, ni les gouvernements nationaux ne se sont saisis des référendum français et hollandais sur la Constitution européenne, en 2005, pour mettre en œuvre une Europe plus démocratique. Et c’est aussi ce qui fragilise le projet européen aujourd’hui. La puissance du vote, c’est que son résultat, s’il peut être ignoré, n’est jamais sans conséquence.
De ce dernier point de vue, aussi important que le moment d’avant le vote, importe le moment d’après le vote. Or comment penser les stratégies sociales d’après vote sans penser au vote lui-même ? On ne peut que soutenir une conception pleinement pragmatique du vote parce qu’elle est paradoxalement un bon gage pour l’avenir : savoir que l’on vote pour se donner de meilleures conditions pour les luttes et résistances qui suivront, c’est se préserver d’avance de la déception et de la désillusion. Il faut se souvenir ici que les fers de lance des déçus du socialisme, du blairisme et de l’obamisme sont constitués très majoritairement à la fois par ceux qui n’avaient pas voté pour eux et par ceux qui n’avaient fait que voter pour eux.
merde aux croyants
Considérer que le vote est question moins d’espérance et de crainte que de calcul stratégique, c’est se prémunir d’avance contre ces postures boudeuses et infantiles. « Ah, Mitterrand, tu m’as bien déçu », c’est la rengaine chantée par ceux qui refusent de penser sincèrement le vote pour ce qu’il est : un simple moment dans un faisceau de stratégies politiques plus larges.
Défendre une conception pragmatique, non simplement de son vote, mais surtout du moment politique du vote, c’est renoncer d’avance à l’illusion qu’il puisse « changer la vie » et le détacher de ce qu’il trimbale encore de sacralité, de fétichisme et de croyance. Le vote que nous défendons n’est pas un vote de croyance : ce n’est pas le vote de ceux qui ne croient plus, ni le vote de ceux qui espèrent croire, c’est celui qui refuse la téléologie du vote, pour privilégier les pensées du possible.
Ce qui suppose de découpler le vote de l’idée de la représentation : si l’on observe l’offre politique actuelle, il faut beaucoup d’abnégation en effet pour espérer être représenté par les technocrates du PS, et beaucoup d’illusion pour envisager que sa voix puisse être seulement portée par eux. Il faut rien moins qu’une fiction, mais une fiction de celles qui ouvrent la porte à toutes les désillusions, et conduisent à dire que la gauche est, somme toute, pire que la droite, parce qu’elle déçoit toutes les espérances. Sauf que si c’était le cas, et suivant le principe rationnel, éminemment défendu par Spinoza, qu’entre deux maux il faut toujours choisir le moindre — y compris quand il s’agit d’une tristesse — il faudrait voter à droite.
Mais cela revient aussi à renoncer gaiement à l’idée d’un vote de confiance, fut-il conditionnel. Car il n’y a aucune raison de faire confiance à des gouvernants : les logiques de carrière politique, comme les jeux d’appareils, et sans parler même de ce qui est si souvent advenu des promesses électorales, n’inspirent ni ne justifient la moindre confiance. Mais il n’y a pas là de quoi renoncer au vote, et pas davantage de raisons de s’y rendre comme on va se pendre. Bien au contraire : car un vote allégé de sa confiance se voit affecté, en retour, d’une positivité stratégique. Il assume pleinement de n’être qu’un moment, parmi d’autres, de l’expression et du combat politique.
Vacarme a suffisamment soutenu que les mobilisations des gouvernés, loin de se limiter à l’expression d’une indignation, constituent pleinement une politique, pour savoir aussi que cette politique-là ne peut être indifférente à la sphère gouvernementale. Car la défiance dont elle procède à l’égard des gouvernements, et qui n’a nullement vocation à être résorbée, va de pair avec un travail constant pour leur imposer des formes de problématisation différentes et pour leur arracher de nouveaux droits, de nouvelles libertés, de nouvelles extensions du domaine de l’égalité. Or dans une telle perspective, la question de savoir qui occupe le pouvoir est cruciale. Ce n’est pas seulement une question de programme. C’est avant tout une question de marge de manœuvre. Voter, c’est choisir, parmi les candidats, ceux sur qui la critique des manières de gouverner, la mise en lumière du grand écart entre les pratiques et les principes dont elles s’autorisent, a le plus de chance de peser. C’est opter pour ceux que les mouvements de gouvernés sauront le mieux embarrasser. Et c’est aussi, par voie de conséquence, désigner des gouvernants sous le régime desquels de tels mouvements ont le plus de chances et de raisons d’advenir.
Dès lors, renoncer à participer aux échéances électorales au motif qu’elles seraient sans commune mesure avec des modes d’expérimentation politique plus démocratiques, est aussi stérile que souscrire à l’idée, fondamentalement rousseauiste, que le tout de la démocratie se joue dans les urnes une fois tous les quatre ou cinq ans, comme voudraient le faire croire tant de politiques et de commentateurs professionnels. Le peuple a voté ! et il n’a plus qu’à se taire. Qu’on se souvienne des argumentaires sarkozystes au moment de la réforme de la retraite : « Dans le fond, vous avez voté pour ce président, aussi votre contestation n’est pas légitime ». C’est le propre des régimes démocratiques autoritaires que de centrer toute la liberté politique sur le vote à l’exclusion de toutes les autres pratiques, en tentant même de les opposer les unes aux autres : la manifestation, légitime certes, mais moins légitime que le vote présidentiel, la grève, légitime certes, etc.… Mais l’abandon du vote n’est que l’envers de sa sacralité piégeante. Il faut décidément cesser d’accorder trop d’importance à ce petit geste pragmatique : parions que ce ne sont pas les élections, mêmes présidentielles et avec des candidats guère florissants, qui empêchent le plus grand nombre de se révolter (hypothèse haute) ou de lire des revues et des livres (hypothèse basse). Bien au contraire. Car si l’on admet qu’une large partie des avancées sociales et politiques est le fruit d’une « bataille perpétuelle » (pour emprunter une formule de Michel Foucault) entre gouvernants et gouvernés, choisir ses gouvernants est bien un moment incontournable de cette bataille.
Mais, objectera-t-on, ne faudrait-il pas, selon cette logique, désigner le pire des gouvernements, c’est-à-dire aussi le plus susceptible de susciter contre lui des mobilisations ? On répondra que l’expérience des dernières années devrait avoir, pour l’heure, disqualifié le scénario, cent fois annoncé et toujours démenti, des troisièmes tours sociaux. Loin de favoriser les investissements militants et syndicaux, le durcissement continu de la droite a eu pour effet, au mieux, de les acculer dans des combats pour la conservation de ce qui pouvait encore être sauvé face à une entreprise systématique de restriction des libertés publiques et d’accroissement des inégalités, au pire de les décourager. On ne s’est plus battu, ces dernières années, pour arracher des droits, mais pour empêcher qu’ils soient restreints. On n’a plus lutté pour le droit de vote des étrangers, pour la liberté de circulation, pour repenser l’enseignement secondaire et supérieur, on s’est mobilisé au cas par cas pour empêcher telle ou telle expulsion, on a tenté de faire front contre la mise à bas des protections dont bénéficiaient les étrangers malades, pourtant gagnées de haute lutte à la fin des années 1990, on a résisté contre la loi Libertés et responsabilités des universités adoptée contre la presque totalité des communautés universitaires. Ces combats ont tous été perdus, épuisant souvent les forces de ceux qui s’y étaient engagés. Et la tendance, amorcée depuis 2002, à la criminalisation du militantisme s’est encore aggravée.
Faut-il rappeler que la France est l’un des pays démocratiques où le droit de manifester sur la place publique est le plus sévèrement contrôlé ? Les Indignés de la Défense le savent, qui se sont efforcés pendant quelques semaines de préserver leurs maigres campements contre des assauts musclés de la Police sous les yeux ahuris des compagnons de route espagnols ou américains de passage. Quant aux autres formes d’occupations de l’espace public, occupations des locaux, manifestations de sans-papiers, occupations des logements vides, distributions de tentes, elles sont presque toujours menacées du spectre de l’illégal !
Voter à gauche, fût-ce pour des candidats un peu désolants, c’est donc choisir de restaurer un climat propice à la conflictualité sociale et aux engagements citoyens. Historiquement, l’extension du suffrage s’est accompagnée d’autres modes d’expression (développement des libertés publiques, rassemblements dans les rues, associations, théâtre militant critique). Jamais le suffrage — quand il a été pensé universel pour la seconde République — n’a été conçu seul, isolé des autres libertés. Par la suite, s’il demeure mais seulement détaché, coupé des autres libertés, alors la république ne se maintient plus que comme un spectre dont le coup de grâce est très vite donné par le coup d’État du 2 décembre puis par le plébiscite. On peut, par ailleurs, trouver parfois fatigante l’invocation incantatoire de 1936, comme si ce moment constituait le seul horizon de la gauche française, mais l’ampleur du mouvement de grèves qui suit immédiatement l’élection du Front populaire et prélude aux accords de Matignon, ainsi que l’augmentation considérable des adhésions syndicales qui s’ensuit, restent une référence. L’histoire, bien sûr, ne se répétera pas — impossible de croire aujourd’hui dans la conjonction de l’état de grâce et de l’ardeur militante qui caractérisa autrefois les débuts du Front populaire ; passée la joie d’en finir avec Sarkozy, il n’y aura pas d’état de grâce et ce sera très bien ainsi. Mais il faut travailler dès maintenant, dès avant le vote, pour qu’après le vote tous les mouvements sociaux encore vivants se saisissent de l’occasion pour empêcher que la brèche ouverte par la victoire électorale se referme trop vite : il y a aussi des Puerta del Sol et des Wall Street à occuper en France.
On aimerait croire, du reste, que les candidats actuels de la gauche comptent aussi sur ce scénario, qu’ils n’ont pas oublié le désastre de la gauche plurielle conduite par Lionel Jospin, dont l’accession au pouvoir doit beaucoup à l’énergie sociale et populaire de décembre 1995 ainsi qu’à celle des mobilisations des sans-papiers, des précaires, etc. qui animèrent les mois précédant l’élection : on sait comme elle s’appliqua aussitôt à éteindre cette énergie, réaffirmant la distinction entre gauche « politique » et gauche « sociale » et concédant hautainement à cette dernière quelques « guichets » où déposer des doléances renvoyées à leur « irréalisme ». Nous le payons encore aujourd’hui. Une fois au gouvernement, la gauche devra désormais savoir qu’elle a tout intérêt à trouver dans la rue, dans les syndicats, dans les mobilisations associatives, des contre-pouvoirs dont elle pourra s’autoriser pour secouer, notamment, le joug des marchés financiers, ou pour adopter des lois que la pusillanimité des candidats les font, au mieux, soutenir du bout des lèvres.
Si nous pensons en somme qu’il faut aller voter, c’est aussi pour obtenir que le moment du vote soit configuré autrement, en amont comme en aval. Car un peuple qui fait suffisamment peur pour qu’on ne se moque pas de lui, ce n’est pas un peuple qui dispose seulement du droit de vote mais un peuple « constamment délibérant ». C’est ainsi que les Thermidoriens avaient stigmatisé la période de l’an II, effrayante à leurs yeux car le peuple y était en effet sur le qui-vive, surveillant la qualité des lois qui se faisaient en son nom, surveillant la qualité des hommes qui agissaient en son nom, se réunissant très régulièrement pour ce faire dans des sections de quartier. C’est cette délibération qu’il s’agit de reconquérir et pour pouvoir lui donner forme, reconquérir des lieux. Nous sommes nombreux à avoir fait l’amère expérience de nous voir refuser une salle municipale pour avoir annoncé que l’enjeu de la réunion projetée n’était pas de faire du macramé mais bien de réfléchir collectivement et politiquement sans pour autant appartenir à un parti. La vie culturelle a été une manière de chasser la vie politique de proximité, celle où l’on noue les émotions et la raison dans la co-présence des corps. Et ce ne sont pas les conseils de quartier qui ne s’occupent que du quartier qui peuvent venir combler le manque, car la politique qui intéresse tout le monde dépasse bien sûr les bornes du quartier. Il faut voter pour réclamer que le vote ne soit plus tributaire d’un espace public confisqué aux simples quidams par les seuls partis et leur financement. Il faut voter pour arracher des lieux du politique. Pour pouvoir construire les rapports de force, les argumentaires, les outils, faire du vote un moment procédural et non l’alpha et l’oméga de la vie politique française, européenne, mondiale. Il faut entendre que si le vote n’est pas l’assurance d’une maturité démocratique, la capacité de tous à devenir des citoyens délibérant sur les affaires publiques passe par lui, a besoin de passer par lui.
« Il faut, disait Nicolas de Bonneville en 1791, que le peuple dont la liberté n’est pas imperturbablement affermie soit toujours sur le qui vive, il doit craindre le repos comme l’avant coureur de son indifférence pour le bien public et se faire une habitude de contredire et de disputer pour n’être pas la dupe de tant de vertus vraies ou affectées par lesquelles on pourrait le tromper. » Une telle vigilance ne sera possible en aval que parce qu’elle aura été réfléchie en amont. On ne construit pas des rapports de force seul devant son téléviseur le soir des élections, mais en affirmant qu’occuper le vote est déjà un bon prélude pour occuper le terrain. Car si l’espace public nous a été volé comme on nous vole notre temps, il nous appartient.
conclusion en forme de post-scriptum
Dans un esprit d’impartialité on voudrait rappeler pour finir que, s’il y a de mauvais arguments pour ne pas aller voter les 22 avril, 6 mai, 10 et 17 juin prochains, il y a pléthore de bons : être étranger et se voir refuser ses demandes de naturalisation depuis 15 ans ; avoir moins de 18 ans ; être déchu de ses droits civiques ; avoir perdu son emploi sous Mitterrand et sa maison sous Jospin ; se faire voler tous ses papiers le matin du vote ; partir le matin des élections vers son bureau de vote et se faire renverser par une voiture ; se faire renverser par une voiture la veille des élections, même l’avant-veille, même par une moto, même une semaine avant si le choc fut mortel ; plus généralement mourir avant le vote d’un accident quelconque, ou d’un cancer, d’une leucémie, d’une attaque cardio-vasculaire, de la grippe espagnole, du rhume (dans tous ces cas, vraiment, soyons justes, rien à redire) ; être dans le coma ; apprendre au moment de rentrer dans l’isoloir que son mari et ses sept enfants viennent de périr dans un incendie ; être interné pour crise mélancolique grave le matin du premier tour, même le matin du second tour ; oublier jusqu’à son propre nom le jour J et errer toute la journée dans les rues en se demandant tout du long pourquoi cette hâte et ce sentiment d’urgence inquiet ; souffrir d’un raptus amnésique et ne plus se souvenir que Nicolas Sarkozy est notre président depuis cinq ans et risque de le demeurer. Tout de même, il y aurait là l’embarras du choix.
(1) Signé par Vincent Casanova, Joseph Confavreux (journaliste à Mediapart), Xavier de La Porte, Laurence Duchêne, Dominique Dupart, Carine Fouteau (journaliste à Mediapart), Aude Lalande, Philippe Mangeot, Victoire Patouillard, Antoine Perrot, Laure Vermeersch, Sophie Wahnich, Lise Wajeman et Pierre Zaoui.
Vacarme est une revue trimestrielle, publiée sur papier et archivée en ligne, à l'intersection de l'engagement politique, de l'expérimentation artistique et de la recherche scientifique.
vendredi 20 janvier 2012
pour ceux qui comprennent l'espagnol
article paru dans le journal El Pais, sur Pueblo Eden, le village le plus proche de notre chacra
Paraíso escondido entre las sierras
Pueblo Edén. Se hizo conocido después que hace cuatro años Roberto Giordano compró un terreno allí Sus pobladores prefieren el anonimato y el clima de aldea que caracteriza al sitio
MALDONADO | GASTÓN PÉRGOLA Y
VIVIANA RUGGIERO
En 2007 se hizo conocido porque el estilista Roberto Giordano compró allí un terreno y no se cansó de mencionar el lugar en sus desfiles. Hoy, lejos de lo mediático, Pueblo Edén volvió a su tranquilidad habitual. "Mejor así", dicen sus habitantes.
En Pueblo Edén, una localidad fernandina ubicada a 30 kilómetros de la costa y rodeada de sierras, se ven más animales que personas. Sin importar la hora del día en la que uno vaya, siempre da la sensación de que "es la hora de la siesta".
Por si quedan dudas, cada pocas cuadras y en las esquinas, surgen carteles que parecen dar las coordenadas de cómo hay que comportarse allí. "Este es un pueblo tranquilo", resalta un prolijo cartel de madera. "Andá despacio, no vueles", reafirma otro a pocos metros. "Aquí nos tomamos la vida con mucha calma. Disfrute del lugar", sigue la secuencia.
A esa altura, con vacas y gallinas alrededor y carteles que invitan a tomarse la vida sin apuro, uno ya se siente predispuesto a "bajar" el cuenta kilómetros y manejar casi a paso de hombre.
Así se llega a una enorme plaza central, que abarca toda una manzana y está extremadamente prolija. Tan solo tres niñas sentadas sobre una de las mesas de la plaza, y a la sombra de un árbol, son el primer indicio de vida humana en el pueblo. "Eeeh, cuando sea grande quiero ser... ya sé... una mariposa", dice la más pequeña, mientras las otras ríen con timidez.
Son las 11 de la mañana. Alrededor de la plaza está la escuela y la iglesia. También sin gente. En el pueblo hay solo tres comercios: un restaurante de comida casera, La Posta del Vaimaca (ver apoyo) y dos almacenes. No hay farmacias, ferreterías ni panadería. Lo más cercano está a 25 kilómetros, en San Carlos.
En el comunal de El Edén funciona una policlínica municipal, pero no está siempre disponible. En ese espacio es también donde se hacen las aisladas actividades del pueblo, desde celebraciones a charlas.
OLVIDADO. En 2007, el reconocido estilista argentino, Roberto Giordano, compró un predio a dos kilómetros del centro del pueblo. Encantado con el lugar, cada vez que hacía un desfile tenía tiempo para mencionar "Pueblo Edén", como uno de sus lugares favoritos. Con su impulso verbal logró (y también ayudado por el encanto del lugar) que cada hectárea de terreno se valorizara hasta en US$ 20.000, cuando antes de Giordano su valor no superaba los US$ 2.000.
En resumen, dejó de ser un lugar escondido en el mundo. Actualmente, entre las 80 personas que habitan el pueblo, ya hay colombianos, franceses, canadienses, holandeses, estadounidenses, ecuatorianos, suizos y varios argentinos.
Por una de las calles laterales a la plaza, y siguiendo el recorrido, en el interior de una casa se aprecia movimiento.
"Pasen, pasen, tomen asiento", responde con amabilidad una lugareña. "La verdad es que este lugar se hizo conocido hace un tiempo. Yo no sé si es culpa de (Roberto) Giordano, pero prefiero que se mantenga tranquilo. Por suerte, la euforia ya pasó", dice Claudia sentada en la casa de su vecina Brenda, una jubilada que dejó Maldonado para evitar eso de tener que vivir detrás de las rejas.
"Todavía dormimos con las puertas y las ventanas abiertas. No sé si es bueno comentarlo, pero es así", afirma Brenda y recuerda su niñez. "Cuando era niña en Maldonado también dormía con las ventanas y puertas abiertas. Hasta que se complicó. Por eso cuando vine acá fue como volver a mi infancia y a los viejos valores y códigos de convivencia", remató.
En su momento, muchos estaban atemorizados con la aparición de Giordano. Temían, justamente, que se perdieran esos códigos. "Se decía que iba a traer problemas al pueblo. Porque iba a traer a su entorno, la farándula y chau tranquilidad. La gente tenía miedo que el pueblo perdiera esta esencia. Pero al final no molestó".
Y es que todo parece funcionar como en una aldea. Cada cual cumple su rol y sabe lo que debe hacer. Javier es uno de ellos. Es el encargado de mantener "prolijo" al pueblo. Trabaja desde las 8 hasta las 14:30, pero dice que está disponible las 24 horas, y es uno de los funcionarios públicos del lugar. Corta el pasto de la plaza, de las calles, hace la poda de los árboles, arregla las flores y repara los caños rotos.
Cada vez que pasa alguien cerca suyo (y no se da con frecuencia) Javier deja lo que está haciendo, se quita el gorro, inclina la cabeza y saluda. "Este es mi gran jardín. Lo cuido como si fuera mío. Lo siento mío", dice con una sonrisa.
Los "códigos de aldea" también se aplican a los nuevos residentes. Michael es canadiense y está viviendo en Pueblo Edén desde julio del año pasado. Vivía y trabajaba en San Pablo, pero ya habiendo ganado tranquilidad económica buscó un poco de paz. Dice que los lugareños lo aceptaron bien porque apenas llegó buscó integrarse y aportar al pueblo.
Para la construcción de su casa dio empleo a varios habitantes de la zona y su esposa se integró a la escuela, donde da clases de inglés y también de manualidades.
Otro ejemplo es el de Mauricio Unternahr (francés) y Liliana Correa (colombiana). Son pareja y se mudaron al pueblo en abril de 2011. Llegaron en busca de tranquilidad y la encontraron. "Vivíamos en La Paloma y teníamos una chacra. Pero nos empezó a afectar la inseguridad. No podíamos dejar la casa sola. Y siempre que pasábamos para Montevideo veíamos el cartel que decía Pueblo Edén. Siempre estábamos por entrar. Hasta que entramos y nos gustó", cuenta Mauricio, que ya está totalmente adaptado a su nuevo hogar.
Justamente la cantidad de extranjeros que viven en el pueblo y la geografía hace que Mauricio se sienta menos extraño. "El lugar es súper lindo. Hay muchos lugares en Francia que se parecen a los paisajes que se ven desde acá, sobre todo las colinas", concluyó. (Producción: Ximena Aleman)
Del aparato de video al restaurante de campo
Hace 21 años, Hugo Marrero y María Inés tenían US$ 450 para comprar un aparato de video. Buscando el aparato en los clasificados, encontraron un terreno en Pueblo Edén, casualmente, a US$ 450. Lo fueron a ver y lo compraron. Hoy no miran películas, pero porque trabajan duro en el único restaurante del pueblo: La Posta de Vaimaca.
El lugar se parece a una típica cocina de campaña pero abierta al público. Se sirven platos caseros que se elaboran a la vista con productos de la zona, las mesas están instaladas bajo los árboles y el olor a comida se entremezcla, por momentos, con el olor de gallinas, patos y conejos criados allí.
Pastas, tarariras (pescado de agua dulce), cordero y conejo, preparados de diferente manera, son los platos que integran la carta. Tienen un costo de $ 280 y, según Marrero, son platos "de verdad", es decir, abundantes. De poste, ofrecen tartas con dulce casero y flan.
El restaurante lleva abierto al público nueve años. "Cuando lo terminamos, nos paramos atrás de la barra. La miré y le dije: `¿Y ahora qué hacemos con todo esto? ¿Cómo lo vamos a llenar?`", recuerda Marrero.
Hoy abre todo el año (menos los lunes) y reciben hasta 70 personas por día. "Los fines de semana, sea junio o enero, sino reservas te quedas debajo de la mesa. Viene gente de todos lados, incluso desde Montevideo", dice orgullosa María mientras prepara pan casero.
El matrimonio asegura que el pueblo ha crecido muchísimo en los últimos tiempos, especialmente después de la inversión que hizo allí Roberto Giordano, y que aumentó la presencia de europeos.
"Somos pocos pobladores, pero ya conviven con nosotros vecinos franceses, ingleses y varios argentinos", comenta Marrero. En 21 años, un terreno en Pueblo Edén pasó de costar US$ 450 a US$ 20.000 cada hectárea.
El País Digital
mercredi 18 janvier 2012
A lire, absolument, si toutes fois vous êtes des humanistes...
- Je ne saurais écrire un si beau texte et ce pour deux raisons: tout d'abord je n'en ai ni le talent ni l'intelligence et ensuite, je suis par trop synthétique et n'ai guère le goût d'expliquer et d'argumenter ce qui me paraît plus que basique. Monsieur Plenel a, lui, cet immense mérite et je vous prie de lire attentivement ce texte fondateur et combien précis dans son argumentation.
- Le voici donc:
Où va la France? 1. La faillite d'un système
17 JANVIER 2012 | PAR EDWY PLENEL (MEDIAPART)Avec Finissons-en!, qui sort cette semaine aux éditions Don Quichotte, Mediapart achève l'inventaire du bilan de la présidence Sarkozy commencé avec un premier tome, N'oubliez pas !, paru il y a deux ans. Manuels civiques, avec une chronologie détaillée et des index, par noms et par thèmes, ces deux ouvrages donnent la mesure de la dégradation française depuis 2007, aussi bien sociale que démocratique, morale qu'internationale. En avant-première, voici son introduction en guise de présentation de ce livre collectif, coordonné par Sophie Dufau.
Les journalistes devraient être interdits d’avenir. Empêchés de prédictions, de pronostics ou de scénarios futuristes. Il suffit déjà qu’ils s’occupent avec soin du présent, lui-même encombré de passé. Qu’ils le décryptent dans ses moindres recoins, qu’ils arpentent tous ces territoires, qu’ils fouillent dans ses placards à mémoires, qu’ils révèlent ses réalités occultées, qu’ils dévoilent ses potentialités cachées. C’est à cette condition-là, à cette condition seule, qu’ils rempliront la fonction démocratique qui, socialement, les légitime : satisfaire le droit de savoir des citoyens, leur offrir toutes les informations d’intérêt public sans lesquelles ils ne pourraient contrôler ce qui est fait en leur nom, leur donner ainsi les moyens d’être libres et autonomes dans leurs choix et leurs décisions, leur permettre en somme d’assumer véritablement cette souveraineté qui, en démocratie, est théoriquement la leur.
Prendre en charge le présent, sans oublier le passé, c’est ce que n’a cessé de faire l’équipe de Mediapart face à l’hyperprésidence de Nicolas Sarkozy dont le moteur est l’oubli. Ce pouvoir a inventé la politique essuie-glaces, ce va-et-vient des agendas et des discours avec l’obsession de la survie plutôt que de la cohérence : d’une annonce à l’autre, d’une manœuvre à une mise en scène, d’un mensonge à un revirement, il s’est toujours appliqué à effacer ses propres traces, des promesses envolées d’hier au bilan désastreux d’aujourd’hui. C’est à la fois sa ruse et son talent. Ruse d’une politique sans principes qui s’attache à piéger ses adversaires en leur imposant d’incessants virements de bord, changements d’angles ou variations de thèmes. Talent d’une politique de coups qui, cherchant obsessionnellement son rebond dans l’actualité, érige la maîtrise de l’agenda médiatique en règle d’or.
Depuis sa création en mars 2008, précédée de son annonce le 2 décembre 2007, Mediapart s’est efforcé de relever ce défi lancé au journalisme par un pouvoir qui ne supporte ni son indépendance ni son impertinence. Agendas contre agendas. Informations contre communications. Révélations contre fictions. En somme, ne pas laisser le pouvoir dicter au peuple son ordre du jour. Ne pas être dupe, ne pas céder aux artifices, ne jamais cesser d’être curieux et ne jamais perdre la mémoire. De cet entêtement témoigne cet ouvrage, Finissons-en !, achèvement d’un travail commencé en janvier 2010 avec N’oubliez pas ! : le décryptage au jour le jour des faits et gestes de la présidence Sarkozy.
Dans l’entrelacement d’une chronologie méticuleuse et détaillée, d’articles fouillés rebondissant sur l’une ou l’autre des dates clés, de synthèses transversales développant une thématique et de contributions de nos abonnés, issues du Club participatif de notre journal en ligne et présentées sous l’intitulé « Discussion », ce deuxième tome propose, tout comme le premier qu’il prolonge et complète, un manuel citoyen indispensable à la veille de l’élection présidentielle de 2012. En se souvenant, pas à pas, de ce qui fut fait et défait, dit et contredit, on comprend mieux avec quoi il convient d’en finir : non pas seulement avec ce président-là, qu’il suffirait de remplacer par un autre, mais avec le système qui l’a produit et qu’il a servi, lequel système entend bien tout faire pour survivre aux échéances électorales, fussent-elles marquées par une alternance partisane.
« Un journaliste en possession de faits est un réformateur plus efficace qu’un éditorialiste qui se contente de tonitruer en chaire, aussi éloquent soit-il. » Cette affirmation de Robert E. Park, fondateur de l’école de sociologie de Chicago et, surtout, ancien journaliste lui-même, pourrait résumer la ligne éditoriale de Mediapart telle que l’illustre Finissons-en ! Nous nous efforçons de mettre sur la table du débat démocratique des informations qui ne soient ni redondantes ni confortables : des faits qui réveillent, dérangent, bousculent, éclairent autrement, interpellent différemment. Convaincus, pour citer encore Park, que « ce sont les informations plutôt que les commentaires qui font l’opinion », notre curiosité journalistique nous entraîne vers l’inconnu et ses surprises plutôt que vers le connu et ses confirmations.
Cette quête collective de l’inédit, dont nos révélations inaugurales dans tous les grands scandales du quinquennat – les affaires Tapie, Karachi, Bettencourt, Wildenstein, Takieddine… – ne sont qu’une des facettes, ne relève pas d’un goût particulier pour le spectaculaire, comme le laissent parfois entendre les détracteurs de ce journalisme d’enquête qui ne se satisfait pas des apparences. Elle témoigne plutôt d’une conviction démocratique, illustrée par une pratique professionnelle : il ne saurait y avoir de délibération démocratique véritable, loyale et sincère, pluraliste et inventive, si le peuple n’est pas informé largement des affaires publiques, autrement dit sans transparence sur tout ce qui est d’intérêt public. « La publicité de la vie politique est la sauvegarde du peuple » : l’énoncé inaugural de ce principe en août 1789 par le président du tiers état, Jean-Sylvain Bailly, a inspiré notre manifeste en défense d’une presse libre (Combat pour une presse libre, Galaade, 2009).
Mais, dans notre modernité médiatique, d’abondance et d’instantanéité, de trop-plein et de temps réel, d’uniformisation marchande d’un bien démocratique qui, du coup, perd en valeur, en crédit et en rareté, l’information peut aussi bien tuer l’information : l’effacer, l’étouffer, la zapper, l’enfouir et l’égarer, voire la corrompre. D’où l’urgente nécessité d’en revenir à la jeunesse de notre métier : la nouvelle qui étonne, l’information qui fait événement, la vérité de fait qui dérange. Autrement dit de créer des ruptures dans ce flux d’informations qui nous emporte sans laisser le temps de réfléchir ou de discuter, nous transformant en foule anonyme et passive plutôt qu’en public renseigné et actif. L’information qui surprend est aussi celle qui provoque un arrêt stupéfait ou une pause intriguée, qui nourrit la conversation publique et qui appelle un débat contradictoire.
Le danger du monstre doux
Cet étonnement de la nouvelle inédite renvoie donc à une pratique sensible de la démocratie, d’une démocratie réellement partagée parce que faisant vivre la promesse initiale de l’égalité des droits. D’une démocratie dont la délibération, sans cesse renouvelée et créatrice, respecte le droit d’alerte, accepte l’interpellation dérangeante des nouvelles indociles et tire profit des alarmes venues de la société elle-même. Tout le contraire d’une démocratie confisquée par une minorité qui, prétendant savoir ce qui est bon pour le peuple à sa place, confond le bien public avec son intérêt personnel. En aggravant tous les travers du présidentialisme français, cette réduction de la volonté populaire au pouvoir d’un seul, le quinquennat de Nicolas Sarkozy en aura été l’illustration accomplie, que n’a cessé de documenter Mediapart.
Au croisement de la politique et de l’argent, d’une politique devenue profession et d’un argent devenu son maître, cette présidence s’est affirmée, depuis le premier jour, comme un pouvoir privatisé au service d’une petite cohorte de privilégiés, bénéficiant de ses cadeaux et profitant de ses injustices. Ce ne fut pas le président des riches, mais celui des très riches, dans une accentuation aussi accélérée qu’impudente des inégalités. Non pas une présidence efficace, mais une présidence intéressée – où les intérêts particuliers l’emportent sur les idéaux collectifs. Mais cette description, où se mêlent violence symbolique, irresponsabilité morale et impuissance effective, est encore trop rassurante. A trop personnaliser le bilan, on risque en effet de louper l’essentiel : le signal d’alarme que nous lance cette réalité politique, mélange de déclin démocratique et de décadence nationale.
L’excès individuel cache ici le danger systémique. Dans son outrance particulière, cette hystérisation égocentrique du pouvoir, Nicolas Sarkozy n’est que l’instrument de la dangereuse dérive d’un système en faillite. Combinant une crise historique du capitalisme, une troisième révolution industrielle et un décentrement géopolitique mondial, l’époque de transition incertaine que traversent nos sociétés confronte un vieux monde qui ne veut pas mourir à une jeune alternative qui peine à naître. De cette tension, l’avenir n’est pas écrit, entre course à l’abîme et éveil de l’espérance. Le sarkozysme siège à ce carrefour, indiquant une voie inédite dont il est l’un des laboratoires, celle de ce « monstre doux » récemment décrit par l’Italien Raffaele Simone où l’ascension du divertissement accélère l’endormissement des consciences, dans la confusion entre fiction et réalité (cf. Raffaele Simone, Le Monstre doux, Gallimard, coll. « Le Débat », 2010).
Sous-titré L’Occident vire-t-il à droite ?, l’essai de Simone eut le grand mérite d’exhumer une vieille prophétie d’Alexis de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique (1840), cette réflexion fondatrice sur la nouveauté démocratique par le détour de son laboratoire nord-américain. « Si le despotisme venait à s’établir chez les nations démocratiques de nos jours, écrit ainsi Tocqueville, il serait plus étendu et plus doux, et il dégraderait les hommes sans les tourmenter. » Dès lors, il imagine cette « chose nouvelle » que serait ce despotisme inconnu, né d’une société dont chacun des membres serait « comme étranger à la destinée de tous les autres », n’existant « qu’en lui-même et pour lui seul », perdu dans « une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils remplissent leur âme ».
Cette dépossession démocratique à l’abri d’un vernis démocratique verrait l’ascension, au-dessus de ceux qu’il gouverne, d’« un pouvoir immense et tutélaire qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort ». Ce pouvoir-là « ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige ; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse ; il ne détruit point, il empêche de naître ; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger ».
« J’ai toujours cru, conclut Tocqueville, que cette sorte de servitude, réglée, douce et paisible, dont je viens de faire le tableau, pourrait se combiner mieux qu’on ne l’imagine avec quelques-unes des formes extérieures de la liberté, et qu’il ne lui serait pas impossible de s’établir à l’ombre même de la souveraineté du peuple. » Et de laisser tomber cette sentence définitive qui rejoint nos inquiétudes contemporaines : « Dans ce système, les citoyens sortent un moment de la dépendance pour indiquer leur maître, et y rentrent. » Nul hasard sans doute si cette alarme, trop longtemps oubliée, fut prise au sérieux et souvent citée par Pierre Mendès France, le plus entêté des républicains français dans le refus de la personnalisation du pouvoir induite par la Cinquième République – « Choisir un homme, fût-il le meilleur, au lieu de choisir une politique, c’est abdiquer. »
Réfléchissant en 1976 à la question du pouvoir, Mendès France s’inquiétait du possible avènement d’une « situation de despotisme de fait » conduisant « insensiblement à cette “tyrannie douce” dont parlait Tocqueville » (cf. Pierre Mendès France, La vérité guidait leurs pas, Gallimard, coll. « Témoins », 1976). « Appelés au gouvernement, expliquait-il, certains peuvent être tentés de transformer une mission conditionnelle et révocable en une sorte de délégation permanente : se croyant et se disant investis d’une grande mission, persuadés qu’ils font mieux que l’adversaire, ils peuvent chercher à conserver le pouvoir en abusant d’une propagande unilatérale, en exploitant le charisme d’un chef, les mythes, les peurs et les craintes, le chauvinisme et le racisme, l’égoïsme de classe, les promesses de la démagogie. »
Ces mots d’hier résument l’enjeu de 2012, alors qu’en France, une même famille politique, fût-elle traversée de querelles fratricides, tient la présidence de la République depuis dix-sept ans, de Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy.
Les oligarques contre la démocratie
Plus que jamais, il importe d’enrayer cette confiscation du pouvoir sous le vernis d’une démocratie dévitalisée et dénaturée. Avec le renfort de son exception bonapartiste, ce césarisme lové au cœur de ses institutions et résumé par l’article 16 de sa Constitution qui, tel une épée de Damoclès suspendue au-dessus du peuple, autorise un coup d’Etat légal de l’exécutif, la France de Nicolas Sarkozy est peut-être le laboratoire européen où s’invente cette inédite tyrannie douce. Aussi vaudrait-il mieux interrompre d’urgence l’expérience.
Ce n’est pas gagné, tant nos temps de crise jouent en sa faveur, à moins d’un sursaut populaire. De la guerre libyenne à la crise financière, l’année 2011 a mis en scène cette dépossession démocratique où les peuples deviennent spectateurs de leur propre histoire, condamnés à subir sans savoir ni pouvoir. Le secret et la peur sont les armes de ce coup d’Etat rampant qui met en pratique la « stratégie du choc » si précisément décrite par Naomi Klein, cette « montée d’un capitalisme du désastre » (Naomi Klein, La Stratégie du choc, Leméac/Actes Sud, 2008). Le peuple français n’a pratiquement rien su de la guerre en Libye, qu’il s’agisse de ses moyens, largement travestis, ou de ses buts, clairement transgressés. Quant à l’accélération de la crise, résultat de l’imprévoyance et des renoncements du pouvoir quand elle débuta, en 2008, l’opacité y règne en maître, à l’image de cette dette abyssale, lourdement aggravée depuis 2007, qui échappe à un audit public permettant d’entrevoir ses responsables et de désigner ses profiteurs.
Ayez peur, et je m’occupe du reste ! Tel est le viatique habituel des politiques de la peur : enfermer le peuple dans des frayeurs qui lui ôtent discernement et curiosité, afin de pouvoir agir sans contrôle en son nom. De ce point de vue, l’épisode libyen fut un cas d’école, tant ce zèle guerrier pour, prétendument, secourir un peuple de culture musulmane s’est accompagné, en France même, d’une diabolisation accentuée de l’islam par le pouvoir. Face au réveil démocratique des peuples arabes, le sarkozysme s’est engouffré dans la brèche libyenne pour, à la fois, effacer les traces de ses compromissions avec les dictatures renversées ou ébranlées et imposer une pédagogie de la violence qui restaure une image de puissance et une logique de domination, alors même que des révoltes pacifiques les mettaient à mal.
Quant à la purge européenne imposée fin 2011 à la Grèce et à l’Italie par un directoire franco-allemand soumis aux volontés des marchés, elle fut une spectaculaire leçon de servitude, avec une démocratie congédiée et des peuples ignorés. Si nous n’y prenons garde, la crise sera le marchepied de cette nouvelle tyrannie où des fondés de pouvoir de l’oligarchie régnante, technocrates et experts, gouvernent à l’abri du peuple, loin de ses regards et de ses scrutins. Comme le rappelait en 2005 le philosophe Jacques Rancière, dans La Haine de la démocratie (La Fabrique, 2005), l’idéal démocratique affrontera toujours des périls oligarchiques, tant il les défie par sa promesse scandaleuse. Sans privilège de naissance, de fortune ou de savoir, j’ai le droit de m’en mêler, de m’exprimer, de voter, de gouverner : tel est son énoncé principiel où la démocratie s’affirme comme le régime de « n’importe qui », un espace vide qu’il nous revient tous de remplir et d’animer.
A l’inverse, les oligarques s’en veulent propriétaires, habillant les intérêts sociaux minoritaires qui les animent de la compétence que leur donnerait l’expérience, l’éducation ou la naissance. Dix ans avant la mise en garde de Rancière sur cette nouvelle haine de la démocratie, celle de ceux pour qui « il n’y a qu’une seule bonne démocratie, celle qui réprime la catastrophe de la civilisation démocratique », l’un des porte-parole immuable de l’oligarchie française annonçait sans fard le programme. En janvier 1995, Alain Minc publiait L’Ivresse démocratique (Gallimard, 1995), essai dont les juges trop indépendants et les journalistes trop curieux étaient les cibles privilégiées. En vue d’un rendez-vous présidentiel qui, d’Edouard Balladur à Nicolas Sarkozy, devra encore patienter douze ans, il s’y adressait à un futur Président de la République pour l’inviter à un coup d’Etat à froid – résumé par cet euphémisme : « un nouveau 1958 silencieux » – afin de « dominer l’ivresse démocratique qui nous guette et qui, insidieusement, commence à s’emparer de nos esprits ».
« Aidez-nous à nous défendre de nous-mêmes », concluait benoîtement Alain Minc à destination de ses futurs César et Bonaparte réunis, dans une parfaite illustration de cette nouvelle servitude volontaire qu’appelle une monde universellement marchand, sans autre valeur que le profit et l’accumulation, doublement destructeur par l’exploitation sans freins de l’homme et de la nature. Depuis, sous nos yeux et sur notre continent, la « dictature des marchés » est devenue une réalité tangible, donnant brutalement raison à des dénonciations hier jugées caricaturales. La catastrophe, mélange de régression sociale et de dépossession démocratique, n’est donc plus seulement une hypothèse théorique, mais bien une possibilité concrète.
Une nécessaire révolution démocratique
A cette tyrannie douce dont il redoutait l’avènement, Pierre Mendès France opposait la force d’un imaginaire démocratique porté par la société elle-même, et non plus seulement par ceux qui, provisoirement, la représentent. « La démocratie, écrivait-il, c’est beaucoup plus que la pratique des élections et le gouvernement de la majorité : c’est un type de mœurs, de vertu, de scrupule, de sens civique, de respect de l’adversaire ; c’est un code moral. » Mediapart se situe résolument du côté de cette promesse, aussi précieuse que fragile. Moteur d’une révolution technologique dont nos usages sociaux détermineront le futur, l’univers numérique où notre journal a vu le jour permet d’entrevoir les immenses potentialités démocratiques qui, si nous le voulons, peuvent faire barrage aux immenses régressions actuellement à l’ouvrage.
La révolution numérique, écrit Dominique Cardon dans La Démocratie Internet (Seuil, coll. « La République des idées », 2010), « bouleverse notre conception et notre pratique de la démocratie car Internet aiguillonne toutes les expériences visant à dépasser la coupure entre représentants et représentés : délibération élargie, auto-organisation, mise en place de collectifs transnationaux, socialisation du savoir, essor de compétences critiques, etc. ». Ouvrant une scène sur laquelle la société se donne en représentation, le web permet d’entrevoir une démocratie étendue et approfondie, sortie de cet âge primitif où elle se réduit au vote et à l’élection. Dès lors, poursuit Cardon, « la société démocratique sort de l’orbite de la politique représentative », s’émancipant du paternalisme de l’espace public traditionnel qui « s’est toujours méfié du public et a inlassablement cherché à le “protéger” contre les autres et surtout contre lui-même ».
Laboratoire d’une nouvelle presse, indépendante et participative, Mediapart participe, sur le front de l’information, à cette quête d’une démocratie refondée et réinventée, rendue à tous ces « n’importe qui » dont l’expression tisse la volonté populaire. C’est une bataille de tous les jours, tant nous ne pouvons plus nous rassurer en laissant le temps au temps. Le présent nous requiert, dans le respect de ses fragilités et le souci de ses impatiences, l’écoute de ses souffrances et la recherche de ses espérances.
« Dis-moi comment tu traites le présent, et je te dirai de quelle philosophie tu es », lançait le dreyfusard Charles Péguy, cet inventeur d’un « journal vrai » qui serait un « cahier de renseignements ». Lequel Péguy nous avait aussi prévenu, entrevoyant les catastrophes à répétition d’une société de marché, ayant épousé cette utopie dévastatrice d’un monde réduit à ses marchandises, à ses échanges monétaires et à ses spéculations financières : « Pour la première fois dans l’histoire du monde, l’argent est seul en face de l’esprit. »
Juif allemand exilé en France, Walter Benjamin fut un grand lecteur de Péguy, dont il partageait l’instinctive méfiance envers un progrès sacralisé, imposant sa volonté à l’humanité et à la nature. Dans le testament qu’il nous a laissé au seuil de la catastrophe européenne du XXe siècle, ses thèses Sur le concept d’histoire écrites peu avant son suicide, le 26 septembre 1940, à Port-Bou, au passage de la frontière franco-espagnole, il nous invitait déjà à prendre particulièrement soin du présent (cf. Michael Löwy, Walter Benjamin : avertissement d’incendie, PUF, 2001). Tout simplement parce que de ce traitement dépend l’avènement des possibles, ces bifurcations improbables et ces discordances inattendues par lesquelles nous pourrons échapper aux fatalités économiques et politiques qui nous accablent en nous faisant croire qu’il n’y a pas d’autre alternative que de s’y soumettre.
Walter Benjamin rappelait qu’il s’agit d’une antique sagesse, celle du premier des monothéismes dont l’Ancien Testament interdit aux Juifs de prédire l’avenir. Dans la version croyante, c’est évidemment que l’homme ne saurait prendre la place de Dieu, seul maître de cet événement à venir, aussi imprévisible qu’impensable : la venue du Messie. Notre variante laïcisée, c’est qu’à ne pas s’attacher au présent à force de jouer les prédicateurs du futur, on ferme l’histoire au lieu de l’ouvrir, rendant plus difficile le surgissement des événements inattendus où se réinvente la liberté des peuples. Telle fut bien la leçon des révolutions pacifiques tunisienne et égyptienne de 2011 qui ont fait mentir toutes les histoires écrites par avance pour des peuples qu’elles congédiaient du même coup, les jugeant indignes d’en être les premiers acteurs.
L’histoire ne fait rien, et tout dépend de nous, de notre liberté et de notre volonté à l’assumer. De même que nous affrontons le risque de tyrannies inédites, nous vivons également au défi de ce possible : cet événement qui, de l’indignation à la révolte, donne soudain corps à une nouvelle espérance. En somme, des révolutions elles aussi inédites qui, loin d’écrire à marche forcée un récit imaginé par des avant-gardes autoproclamées, inventeraient avec précaution et patience un nouvel âge de la démocratie. Des révolutions comme les imaginait Walter Benjamin, dans ses notes de 1940 alors qu’il était minuit dans le siècle : « Marx, écrivait-il, dit que les révolutions sont la locomotive de l’histoire. Mais peut-être en va-t-il tout autrement. Peut-être que les révolutions sont le geste de l’espèce humaine voyageant dans ce train pour saisir le signal d’alarme. »
Oui, il est temps de tirer le signal de l’alarme. Et d’en finir avec ce système qui nous entraîne dans sa perdition.
Vous avez lu? Et sur le fond qu'en pensez-vous?
Ce n'est pas de la politique politicienne mais bien un cri du coeur à la manière de Victor Hugo en son temps!...
Merci
CG
- Le voici donc:
Où va la France? 1. La faillite d'un système
17 JANVIER 2012 | PAR EDWY PLENEL (MEDIAPART)Avec Finissons-en!, qui sort cette semaine aux éditions Don Quichotte, Mediapart achève l'inventaire du bilan de la présidence Sarkozy commencé avec un premier tome, N'oubliez pas !, paru il y a deux ans. Manuels civiques, avec une chronologie détaillée et des index, par noms et par thèmes, ces deux ouvrages donnent la mesure de la dégradation française depuis 2007, aussi bien sociale que démocratique, morale qu'internationale. En avant-première, voici son introduction en guise de présentation de ce livre collectif, coordonné par Sophie Dufau.
Les journalistes devraient être interdits d’avenir. Empêchés de prédictions, de pronostics ou de scénarios futuristes. Il suffit déjà qu’ils s’occupent avec soin du présent, lui-même encombré de passé. Qu’ils le décryptent dans ses moindres recoins, qu’ils arpentent tous ces territoires, qu’ils fouillent dans ses placards à mémoires, qu’ils révèlent ses réalités occultées, qu’ils dévoilent ses potentialités cachées. C’est à cette condition-là, à cette condition seule, qu’ils rempliront la fonction démocratique qui, socialement, les légitime : satisfaire le droit de savoir des citoyens, leur offrir toutes les informations d’intérêt public sans lesquelles ils ne pourraient contrôler ce qui est fait en leur nom, leur donner ainsi les moyens d’être libres et autonomes dans leurs choix et leurs décisions, leur permettre en somme d’assumer véritablement cette souveraineté qui, en démocratie, est théoriquement la leur.
Prendre en charge le présent, sans oublier le passé, c’est ce que n’a cessé de faire l’équipe de Mediapart face à l’hyperprésidence de Nicolas Sarkozy dont le moteur est l’oubli. Ce pouvoir a inventé la politique essuie-glaces, ce va-et-vient des agendas et des discours avec l’obsession de la survie plutôt que de la cohérence : d’une annonce à l’autre, d’une manœuvre à une mise en scène, d’un mensonge à un revirement, il s’est toujours appliqué à effacer ses propres traces, des promesses envolées d’hier au bilan désastreux d’aujourd’hui. C’est à la fois sa ruse et son talent. Ruse d’une politique sans principes qui s’attache à piéger ses adversaires en leur imposant d’incessants virements de bord, changements d’angles ou variations de thèmes. Talent d’une politique de coups qui, cherchant obsessionnellement son rebond dans l’actualité, érige la maîtrise de l’agenda médiatique en règle d’or.
Depuis sa création en mars 2008, précédée de son annonce le 2 décembre 2007, Mediapart s’est efforcé de relever ce défi lancé au journalisme par un pouvoir qui ne supporte ni son indépendance ni son impertinence. Agendas contre agendas. Informations contre communications. Révélations contre fictions. En somme, ne pas laisser le pouvoir dicter au peuple son ordre du jour. Ne pas être dupe, ne pas céder aux artifices, ne jamais cesser d’être curieux et ne jamais perdre la mémoire. De cet entêtement témoigne cet ouvrage, Finissons-en !, achèvement d’un travail commencé en janvier 2010 avec N’oubliez pas ! : le décryptage au jour le jour des faits et gestes de la présidence Sarkozy.
Dans l’entrelacement d’une chronologie méticuleuse et détaillée, d’articles fouillés rebondissant sur l’une ou l’autre des dates clés, de synthèses transversales développant une thématique et de contributions de nos abonnés, issues du Club participatif de notre journal en ligne et présentées sous l’intitulé « Discussion », ce deuxième tome propose, tout comme le premier qu’il prolonge et complète, un manuel citoyen indispensable à la veille de l’élection présidentielle de 2012. En se souvenant, pas à pas, de ce qui fut fait et défait, dit et contredit, on comprend mieux avec quoi il convient d’en finir : non pas seulement avec ce président-là, qu’il suffirait de remplacer par un autre, mais avec le système qui l’a produit et qu’il a servi, lequel système entend bien tout faire pour survivre aux échéances électorales, fussent-elles marquées par une alternance partisane.
« Un journaliste en possession de faits est un réformateur plus efficace qu’un éditorialiste qui se contente de tonitruer en chaire, aussi éloquent soit-il. » Cette affirmation de Robert E. Park, fondateur de l’école de sociologie de Chicago et, surtout, ancien journaliste lui-même, pourrait résumer la ligne éditoriale de Mediapart telle que l’illustre Finissons-en ! Nous nous efforçons de mettre sur la table du débat démocratique des informations qui ne soient ni redondantes ni confortables : des faits qui réveillent, dérangent, bousculent, éclairent autrement, interpellent différemment. Convaincus, pour citer encore Park, que « ce sont les informations plutôt que les commentaires qui font l’opinion », notre curiosité journalistique nous entraîne vers l’inconnu et ses surprises plutôt que vers le connu et ses confirmations.
Cette quête collective de l’inédit, dont nos révélations inaugurales dans tous les grands scandales du quinquennat – les affaires Tapie, Karachi, Bettencourt, Wildenstein, Takieddine… – ne sont qu’une des facettes, ne relève pas d’un goût particulier pour le spectaculaire, comme le laissent parfois entendre les détracteurs de ce journalisme d’enquête qui ne se satisfait pas des apparences. Elle témoigne plutôt d’une conviction démocratique, illustrée par une pratique professionnelle : il ne saurait y avoir de délibération démocratique véritable, loyale et sincère, pluraliste et inventive, si le peuple n’est pas informé largement des affaires publiques, autrement dit sans transparence sur tout ce qui est d’intérêt public. « La publicité de la vie politique est la sauvegarde du peuple » : l’énoncé inaugural de ce principe en août 1789 par le président du tiers état, Jean-Sylvain Bailly, a inspiré notre manifeste en défense d’une presse libre (Combat pour une presse libre, Galaade, 2009).
Mais, dans notre modernité médiatique, d’abondance et d’instantanéité, de trop-plein et de temps réel, d’uniformisation marchande d’un bien démocratique qui, du coup, perd en valeur, en crédit et en rareté, l’information peut aussi bien tuer l’information : l’effacer, l’étouffer, la zapper, l’enfouir et l’égarer, voire la corrompre. D’où l’urgente nécessité d’en revenir à la jeunesse de notre métier : la nouvelle qui étonne, l’information qui fait événement, la vérité de fait qui dérange. Autrement dit de créer des ruptures dans ce flux d’informations qui nous emporte sans laisser le temps de réfléchir ou de discuter, nous transformant en foule anonyme et passive plutôt qu’en public renseigné et actif. L’information qui surprend est aussi celle qui provoque un arrêt stupéfait ou une pause intriguée, qui nourrit la conversation publique et qui appelle un débat contradictoire.
Le danger du monstre doux
Cet étonnement de la nouvelle inédite renvoie donc à une pratique sensible de la démocratie, d’une démocratie réellement partagée parce que faisant vivre la promesse initiale de l’égalité des droits. D’une démocratie dont la délibération, sans cesse renouvelée et créatrice, respecte le droit d’alerte, accepte l’interpellation dérangeante des nouvelles indociles et tire profit des alarmes venues de la société elle-même. Tout le contraire d’une démocratie confisquée par une minorité qui, prétendant savoir ce qui est bon pour le peuple à sa place, confond le bien public avec son intérêt personnel. En aggravant tous les travers du présidentialisme français, cette réduction de la volonté populaire au pouvoir d’un seul, le quinquennat de Nicolas Sarkozy en aura été l’illustration accomplie, que n’a cessé de documenter Mediapart.
Au croisement de la politique et de l’argent, d’une politique devenue profession et d’un argent devenu son maître, cette présidence s’est affirmée, depuis le premier jour, comme un pouvoir privatisé au service d’une petite cohorte de privilégiés, bénéficiant de ses cadeaux et profitant de ses injustices. Ce ne fut pas le président des riches, mais celui des très riches, dans une accentuation aussi accélérée qu’impudente des inégalités. Non pas une présidence efficace, mais une présidence intéressée – où les intérêts particuliers l’emportent sur les idéaux collectifs. Mais cette description, où se mêlent violence symbolique, irresponsabilité morale et impuissance effective, est encore trop rassurante. A trop personnaliser le bilan, on risque en effet de louper l’essentiel : le signal d’alarme que nous lance cette réalité politique, mélange de déclin démocratique et de décadence nationale.
L’excès individuel cache ici le danger systémique. Dans son outrance particulière, cette hystérisation égocentrique du pouvoir, Nicolas Sarkozy n’est que l’instrument de la dangereuse dérive d’un système en faillite. Combinant une crise historique du capitalisme, une troisième révolution industrielle et un décentrement géopolitique mondial, l’époque de transition incertaine que traversent nos sociétés confronte un vieux monde qui ne veut pas mourir à une jeune alternative qui peine à naître. De cette tension, l’avenir n’est pas écrit, entre course à l’abîme et éveil de l’espérance. Le sarkozysme siège à ce carrefour, indiquant une voie inédite dont il est l’un des laboratoires, celle de ce « monstre doux » récemment décrit par l’Italien Raffaele Simone où l’ascension du divertissement accélère l’endormissement des consciences, dans la confusion entre fiction et réalité (cf. Raffaele Simone, Le Monstre doux, Gallimard, coll. « Le Débat », 2010).
Sous-titré L’Occident vire-t-il à droite ?, l’essai de Simone eut le grand mérite d’exhumer une vieille prophétie d’Alexis de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique (1840), cette réflexion fondatrice sur la nouveauté démocratique par le détour de son laboratoire nord-américain. « Si le despotisme venait à s’établir chez les nations démocratiques de nos jours, écrit ainsi Tocqueville, il serait plus étendu et plus doux, et il dégraderait les hommes sans les tourmenter. » Dès lors, il imagine cette « chose nouvelle » que serait ce despotisme inconnu, né d’une société dont chacun des membres serait « comme étranger à la destinée de tous les autres », n’existant « qu’en lui-même et pour lui seul », perdu dans « une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils remplissent leur âme ».
Cette dépossession démocratique à l’abri d’un vernis démocratique verrait l’ascension, au-dessus de ceux qu’il gouverne, d’« un pouvoir immense et tutélaire qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort ». Ce pouvoir-là « ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige ; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse ; il ne détruit point, il empêche de naître ; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger ».
« J’ai toujours cru, conclut Tocqueville, que cette sorte de servitude, réglée, douce et paisible, dont je viens de faire le tableau, pourrait se combiner mieux qu’on ne l’imagine avec quelques-unes des formes extérieures de la liberté, et qu’il ne lui serait pas impossible de s’établir à l’ombre même de la souveraineté du peuple. » Et de laisser tomber cette sentence définitive qui rejoint nos inquiétudes contemporaines : « Dans ce système, les citoyens sortent un moment de la dépendance pour indiquer leur maître, et y rentrent. » Nul hasard sans doute si cette alarme, trop longtemps oubliée, fut prise au sérieux et souvent citée par Pierre Mendès France, le plus entêté des républicains français dans le refus de la personnalisation du pouvoir induite par la Cinquième République – « Choisir un homme, fût-il le meilleur, au lieu de choisir une politique, c’est abdiquer. »
Réfléchissant en 1976 à la question du pouvoir, Mendès France s’inquiétait du possible avènement d’une « situation de despotisme de fait » conduisant « insensiblement à cette “tyrannie douce” dont parlait Tocqueville » (cf. Pierre Mendès France, La vérité guidait leurs pas, Gallimard, coll. « Témoins », 1976). « Appelés au gouvernement, expliquait-il, certains peuvent être tentés de transformer une mission conditionnelle et révocable en une sorte de délégation permanente : se croyant et se disant investis d’une grande mission, persuadés qu’ils font mieux que l’adversaire, ils peuvent chercher à conserver le pouvoir en abusant d’une propagande unilatérale, en exploitant le charisme d’un chef, les mythes, les peurs et les craintes, le chauvinisme et le racisme, l’égoïsme de classe, les promesses de la démagogie. »
Ces mots d’hier résument l’enjeu de 2012, alors qu’en France, une même famille politique, fût-elle traversée de querelles fratricides, tient la présidence de la République depuis dix-sept ans, de Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy.
Les oligarques contre la démocratie
Plus que jamais, il importe d’enrayer cette confiscation du pouvoir sous le vernis d’une démocratie dévitalisée et dénaturée. Avec le renfort de son exception bonapartiste, ce césarisme lové au cœur de ses institutions et résumé par l’article 16 de sa Constitution qui, tel une épée de Damoclès suspendue au-dessus du peuple, autorise un coup d’Etat légal de l’exécutif, la France de Nicolas Sarkozy est peut-être le laboratoire européen où s’invente cette inédite tyrannie douce. Aussi vaudrait-il mieux interrompre d’urgence l’expérience.
Ce n’est pas gagné, tant nos temps de crise jouent en sa faveur, à moins d’un sursaut populaire. De la guerre libyenne à la crise financière, l’année 2011 a mis en scène cette dépossession démocratique où les peuples deviennent spectateurs de leur propre histoire, condamnés à subir sans savoir ni pouvoir. Le secret et la peur sont les armes de ce coup d’Etat rampant qui met en pratique la « stratégie du choc » si précisément décrite par Naomi Klein, cette « montée d’un capitalisme du désastre » (Naomi Klein, La Stratégie du choc, Leméac/Actes Sud, 2008). Le peuple français n’a pratiquement rien su de la guerre en Libye, qu’il s’agisse de ses moyens, largement travestis, ou de ses buts, clairement transgressés. Quant à l’accélération de la crise, résultat de l’imprévoyance et des renoncements du pouvoir quand elle débuta, en 2008, l’opacité y règne en maître, à l’image de cette dette abyssale, lourdement aggravée depuis 2007, qui échappe à un audit public permettant d’entrevoir ses responsables et de désigner ses profiteurs.
Ayez peur, et je m’occupe du reste ! Tel est le viatique habituel des politiques de la peur : enfermer le peuple dans des frayeurs qui lui ôtent discernement et curiosité, afin de pouvoir agir sans contrôle en son nom. De ce point de vue, l’épisode libyen fut un cas d’école, tant ce zèle guerrier pour, prétendument, secourir un peuple de culture musulmane s’est accompagné, en France même, d’une diabolisation accentuée de l’islam par le pouvoir. Face au réveil démocratique des peuples arabes, le sarkozysme s’est engouffré dans la brèche libyenne pour, à la fois, effacer les traces de ses compromissions avec les dictatures renversées ou ébranlées et imposer une pédagogie de la violence qui restaure une image de puissance et une logique de domination, alors même que des révoltes pacifiques les mettaient à mal.
Quant à la purge européenne imposée fin 2011 à la Grèce et à l’Italie par un directoire franco-allemand soumis aux volontés des marchés, elle fut une spectaculaire leçon de servitude, avec une démocratie congédiée et des peuples ignorés. Si nous n’y prenons garde, la crise sera le marchepied de cette nouvelle tyrannie où des fondés de pouvoir de l’oligarchie régnante, technocrates et experts, gouvernent à l’abri du peuple, loin de ses regards et de ses scrutins. Comme le rappelait en 2005 le philosophe Jacques Rancière, dans La Haine de la démocratie (La Fabrique, 2005), l’idéal démocratique affrontera toujours des périls oligarchiques, tant il les défie par sa promesse scandaleuse. Sans privilège de naissance, de fortune ou de savoir, j’ai le droit de m’en mêler, de m’exprimer, de voter, de gouverner : tel est son énoncé principiel où la démocratie s’affirme comme le régime de « n’importe qui », un espace vide qu’il nous revient tous de remplir et d’animer.
A l’inverse, les oligarques s’en veulent propriétaires, habillant les intérêts sociaux minoritaires qui les animent de la compétence que leur donnerait l’expérience, l’éducation ou la naissance. Dix ans avant la mise en garde de Rancière sur cette nouvelle haine de la démocratie, celle de ceux pour qui « il n’y a qu’une seule bonne démocratie, celle qui réprime la catastrophe de la civilisation démocratique », l’un des porte-parole immuable de l’oligarchie française annonçait sans fard le programme. En janvier 1995, Alain Minc publiait L’Ivresse démocratique (Gallimard, 1995), essai dont les juges trop indépendants et les journalistes trop curieux étaient les cibles privilégiées. En vue d’un rendez-vous présidentiel qui, d’Edouard Balladur à Nicolas Sarkozy, devra encore patienter douze ans, il s’y adressait à un futur Président de la République pour l’inviter à un coup d’Etat à froid – résumé par cet euphémisme : « un nouveau 1958 silencieux » – afin de « dominer l’ivresse démocratique qui nous guette et qui, insidieusement, commence à s’emparer de nos esprits ».
« Aidez-nous à nous défendre de nous-mêmes », concluait benoîtement Alain Minc à destination de ses futurs César et Bonaparte réunis, dans une parfaite illustration de cette nouvelle servitude volontaire qu’appelle une monde universellement marchand, sans autre valeur que le profit et l’accumulation, doublement destructeur par l’exploitation sans freins de l’homme et de la nature. Depuis, sous nos yeux et sur notre continent, la « dictature des marchés » est devenue une réalité tangible, donnant brutalement raison à des dénonciations hier jugées caricaturales. La catastrophe, mélange de régression sociale et de dépossession démocratique, n’est donc plus seulement une hypothèse théorique, mais bien une possibilité concrète.
Une nécessaire révolution démocratique
A cette tyrannie douce dont il redoutait l’avènement, Pierre Mendès France opposait la force d’un imaginaire démocratique porté par la société elle-même, et non plus seulement par ceux qui, provisoirement, la représentent. « La démocratie, écrivait-il, c’est beaucoup plus que la pratique des élections et le gouvernement de la majorité : c’est un type de mœurs, de vertu, de scrupule, de sens civique, de respect de l’adversaire ; c’est un code moral. » Mediapart se situe résolument du côté de cette promesse, aussi précieuse que fragile. Moteur d’une révolution technologique dont nos usages sociaux détermineront le futur, l’univers numérique où notre journal a vu le jour permet d’entrevoir les immenses potentialités démocratiques qui, si nous le voulons, peuvent faire barrage aux immenses régressions actuellement à l’ouvrage.
La révolution numérique, écrit Dominique Cardon dans La Démocratie Internet (Seuil, coll. « La République des idées », 2010), « bouleverse notre conception et notre pratique de la démocratie car Internet aiguillonne toutes les expériences visant à dépasser la coupure entre représentants et représentés : délibération élargie, auto-organisation, mise en place de collectifs transnationaux, socialisation du savoir, essor de compétences critiques, etc. ». Ouvrant une scène sur laquelle la société se donne en représentation, le web permet d’entrevoir une démocratie étendue et approfondie, sortie de cet âge primitif où elle se réduit au vote et à l’élection. Dès lors, poursuit Cardon, « la société démocratique sort de l’orbite de la politique représentative », s’émancipant du paternalisme de l’espace public traditionnel qui « s’est toujours méfié du public et a inlassablement cherché à le “protéger” contre les autres et surtout contre lui-même ».
Laboratoire d’une nouvelle presse, indépendante et participative, Mediapart participe, sur le front de l’information, à cette quête d’une démocratie refondée et réinventée, rendue à tous ces « n’importe qui » dont l’expression tisse la volonté populaire. C’est une bataille de tous les jours, tant nous ne pouvons plus nous rassurer en laissant le temps au temps. Le présent nous requiert, dans le respect de ses fragilités et le souci de ses impatiences, l’écoute de ses souffrances et la recherche de ses espérances.
« Dis-moi comment tu traites le présent, et je te dirai de quelle philosophie tu es », lançait le dreyfusard Charles Péguy, cet inventeur d’un « journal vrai » qui serait un « cahier de renseignements ». Lequel Péguy nous avait aussi prévenu, entrevoyant les catastrophes à répétition d’une société de marché, ayant épousé cette utopie dévastatrice d’un monde réduit à ses marchandises, à ses échanges monétaires et à ses spéculations financières : « Pour la première fois dans l’histoire du monde, l’argent est seul en face de l’esprit. »
Juif allemand exilé en France, Walter Benjamin fut un grand lecteur de Péguy, dont il partageait l’instinctive méfiance envers un progrès sacralisé, imposant sa volonté à l’humanité et à la nature. Dans le testament qu’il nous a laissé au seuil de la catastrophe européenne du XXe siècle, ses thèses Sur le concept d’histoire écrites peu avant son suicide, le 26 septembre 1940, à Port-Bou, au passage de la frontière franco-espagnole, il nous invitait déjà à prendre particulièrement soin du présent (cf. Michael Löwy, Walter Benjamin : avertissement d’incendie, PUF, 2001). Tout simplement parce que de ce traitement dépend l’avènement des possibles, ces bifurcations improbables et ces discordances inattendues par lesquelles nous pourrons échapper aux fatalités économiques et politiques qui nous accablent en nous faisant croire qu’il n’y a pas d’autre alternative que de s’y soumettre.
Walter Benjamin rappelait qu’il s’agit d’une antique sagesse, celle du premier des monothéismes dont l’Ancien Testament interdit aux Juifs de prédire l’avenir. Dans la version croyante, c’est évidemment que l’homme ne saurait prendre la place de Dieu, seul maître de cet événement à venir, aussi imprévisible qu’impensable : la venue du Messie. Notre variante laïcisée, c’est qu’à ne pas s’attacher au présent à force de jouer les prédicateurs du futur, on ferme l’histoire au lieu de l’ouvrir, rendant plus difficile le surgissement des événements inattendus où se réinvente la liberté des peuples. Telle fut bien la leçon des révolutions pacifiques tunisienne et égyptienne de 2011 qui ont fait mentir toutes les histoires écrites par avance pour des peuples qu’elles congédiaient du même coup, les jugeant indignes d’en être les premiers acteurs.
L’histoire ne fait rien, et tout dépend de nous, de notre liberté et de notre volonté à l’assumer. De même que nous affrontons le risque de tyrannies inédites, nous vivons également au défi de ce possible : cet événement qui, de l’indignation à la révolte, donne soudain corps à une nouvelle espérance. En somme, des révolutions elles aussi inédites qui, loin d’écrire à marche forcée un récit imaginé par des avant-gardes autoproclamées, inventeraient avec précaution et patience un nouvel âge de la démocratie. Des révolutions comme les imaginait Walter Benjamin, dans ses notes de 1940 alors qu’il était minuit dans le siècle : « Marx, écrivait-il, dit que les révolutions sont la locomotive de l’histoire. Mais peut-être en va-t-il tout autrement. Peut-être que les révolutions sont le geste de l’espèce humaine voyageant dans ce train pour saisir le signal d’alarme. »
Oui, il est temps de tirer le signal de l’alarme. Et d’en finir avec ce système qui nous entraîne dans sa perdition.
Vous avez lu? Et sur le fond qu'en pensez-vous?
Ce n'est pas de la politique politicienne mais bien un cri du coeur à la manière de Victor Hugo en son temps!...
Merci
CG
samedi 14 janvier 2012
mercredi 11 janvier 2012
le vilain petit canard et
sa maman poule!
il y a à peu près 10 jours est né ce canard d'un des oeufs qui couve la poule. Au début on ne savait pas qui était la maman, si la canne ou la poule, mais la seule qui l'a accepté est la poule qui continue sur ses oeufs, alors le petit canard est toujours tout seul, puisque sa maman ne s'en occupe pas et que les autres 14 cannetons ne l'acceptent pas, ni la canne... heureusement il mange et boit, et a bien grandi depuis.
Hier matin, on a trouvé encore un petit, tout jaune cette fois-ci, également de maman poule, car l'autre canne a arrêté de couver, sans avoir des petits. Maintenant ils sont deux vilains petits canards. Je pense que les oeufs étaient trop vieux. Si demain il n'y a pas d'autres naissances chez maman poule, on lui enlèvera les oeufs, pour qu'elle s'occupe de ses deux petits, qui sont nés avec une bonne semaine de décalage.
pour les prochaines oeufs, il faudra qu'on marque la date
lundi 9 janvier 2012
encore des oiseaux qu'on rencontre tous les jours
on dirait
dimanche 8 janvier 2012
Cuervos de cabeza roja
Espèce de vautours, qui nettoient les alentours de tout animal mort. Ce jour là on avait tué quatre canards, et ils se sont regalés avec les carcasses, les entrailles et toutes les parties que nous ne consommons pas. Ils ont une grande envergure, et sont des fantastiques planeurs, des fois ils passent seulement à deux ou trois mètres au dessus de nos têtes.
Les gros lézards sont de retour
avec la chaleur et les beaux jours.
Tatou se fait un plaisir à leur courrir après.... mais a du mal à les rattraper. Une fois il y a eu presque bagarre, le gros lézard s'est mis sur ses pattes arrière et a affronté la chienne, qui s'est réfugiée dans les jambes de Christian.
Nous devons surveiller de près les poules, et récupérer les oeufs dès qu'elles pondent, autrement ce sont les lézards qui se font un gueleton.
Guitarrero
Couple de canaris sauvages
lundi 2 janvier 2012
Churrinche sur branche de Molle Rastrero
cette photo a été prise le jour du réveillon de fin d'année par notre ami René, qui a un zoom absolument fantastique... et l'a capté à peu près à 50 m de distance!
Le churrinche a des couleurs éclatantes et nous rend visite très régulièrement, matin et soir. Ce matin il était sur les branches du pêcher.
Inscription à :
Articles (Atom)