- Ne serait-ce pas là, avec ce reflet de la Grèce, exactement ce qui se passe en Europe et particulièrement en France sous le règne de l'empire sarkosien? Selon moi, c'est exactement ce qui arrive à mon pays! Et sous une forme encore pire car beaucoup plus dissimulée et hypocrite!
- A lire donc, et à "cogiter", cette triste et vraie analyse de la crise grecque qui ne dit son nom que pour ne pas citer les "autres"!
CG
11 Mars 2012 Par Les invités de Mediapart
Edition : Les invités de Mediapart «Le malade, c’est l’État, et non l’économie et la société grecques», réaffirme Georges Contogeorgis, professeur de science politique à Athènes, ancien ministre qui a apporté son soutien aux Indignés de la place Syntagma. Ce qui rend indispensable un réexamen des orientations demandées à la Grèce, et «pourrait être le point de départ d’un approfondissement de l’Europe politique».
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1. Au départ crise de l’emprunt, la crise grecque est ensuite devenue crise de la dette, avant d’être considérée finalement comme une crise de la compétitivité. Dès le début, la troïka a fondé son approche de l’économie grecque sur l’idée essentielle que l’État était confronté à une crise de la dette parce que l’économie grecque n’était pas compétitive et que, par conséquent, les Grecs vivaient au-dessus de leurs moyens, sur des emprunts.
Or, si cette idée avait été correcte à la base, les mesures écrasantes – de l’aveu général – imposées à la société grecque auraient dû porter quelque fruit. Cela fait cinq ans déjà que nous vivons une récession sans précédent, qui promet de se poursuivre avec la même intensité. Et pourtant, nul ne saurait dire encore à quel moment le «niveau de vie» du Grec sera conforme à l’état réel de l’économie.
Comme hypothèse de travail, je propose de considérer ici que, dans le cas de la Grèce, la «recette» qui a été choisie pour faire face à la crise est partie d’un diagnostic complètement faux pour ce qui est de la cause, mais aussi du malade. Plus précisément, je soutiens que le malade, c’est l’État, et non l’économie et la société grecques. Le surendettement public n’est pas directement lié au niveau de vie de la société: c’est simplement un indice significatif de la corruption et de l’appropriation de l’État par la classe politique et par ceux qui le possèdent. Le fait que la crise de l’emprunt ait dégénéré en crise de la dette résulte exclusivement du refus général des gouvernements grecs de prendre des mesures élémentaires de réforme de l’État. Ensuite, la gestion de la crise, marquée par les infléchissements par rapport aux prévisions des mémorandums, et, en fin de compte, les ponctions inouïes effectuées aux dépens de la société, va de pair avec l’obstination du personnel politique à conserver intacts ses insolents privilèges ainsi que les piliers de la partitocratie. Le système politique a perdu toute légitimité et se trouve en rivalité continuelle avec la société des citoyens.
En particulier, apprécier le niveau de vie des Grecs en fonction du PIB est en contradiction avec le fait que, dans ce cas précis, le PIB ne correspond manifestement pas à la réalité de l’économie. L’écart devient patent si l’on compare l’économie réelle avec les ressources de l’État, qui sont évidemment inférieures à ce qu’elles devraient être, en raison de l’énormité de la fraude fiscale dans le pays. L’État pauvre et surendetté ne préjuge pas d’une économie pauvre et d’une société qui vit au-dessus de ses moyens. Il est intéressant de remarquer que, contrairement à celui de l’État, l’endettement des particuliers en Grèce était, au début de la crise, parmi les plus faibles d’Europe. Et si l’on ajoute la collusion d’intérêts et la corruption (l’État grec se situe en ce domaine aux derniers rangs des nations), force est de constater que les détenteurs/possesseurs de l’État «pauvre et surendetté» menaient une vie outrageusement luxueuse.
Vu la perte considérable de richesse productive occasionnée par les collusions d’intérêts et par une corruption connues de tous, vu le gaspillage et le pillage des recettes publiques par la classe politique et, bien entendu, les pratiques clientélistes visant à satisfaire des groupes sociaux «amis», il va de soi que la prospérité par habitant (y compris la qualité de vie, comme par exemple les services fournis par l’État) était largement en dessous de celle à laquelle pouvait prétendre la société grecque. On a calculé que si cette richesse – produite par l’économie grecque ou importée de l’UE – avait été investie de manière productive, le niveau de vie du pays aurait égalé celui des pays scandinaves.
Pour apprécier l’ampleur de l’effort déployé par l’ensemble de la société grecque afin d’atteindre ce niveau, il faut tenir compte de l’environnement extrêmement défavorable dans lequel elle était contrainte de fonctionner. L’État dressait et continue de dresser des obstacles insurmontables à toute activité, d’entreprise ou autre, de la société et à la constitution de relations économiques saines et débarrassées de l’entremise des intérêts et de la corruption. Du simple agriculteur au grand entrepreneur, toute transaction avec l’État implique soit l’adhésion au système de la collusion d’intérêts et de la corruption, soit le début de complications sans fins pour soi-même ou son entreprise. Pour profiter des services élémentaires que lui vaut sa qualité de citoyen, ce dernier doit «avoir un piston» ou payer le bakchich nécessaire. Il n’est pas excessif de dire que la société grecque est aux mains d’un État dynastique que s’est approprié une classe politique transformée en partitocratie. Il suffit de noter la diminution impressionnante du poids du monde grec depuis le XIXe siècle pour comprendre l’ampleur des dégâts provoqués par cet État dynastique ; ou de s’interroger sur la réussite de la diaspora (aux États-Unis, la diaspora grecque occupe l’une des deux places les plus importantes parmi les communautés nationales) ou sur la flotte marchande grecque, la première au monde.
2. Ces constatations montrent à quel point la troïka s’est fourvoyée dans sa manière d’envisager le problème grec. Je considère en l’occurrence comme une erreur l’assimilation de la dite «dévaluation interne» à la dévaluation d’une monnaie nationale, même si l’on oublie un instant que le but poursuivi est de servir l’intérêt des marchés. La dévaluation de la monnaie nationale améliore, sous certaines conditions, la compétitivité de l’économie ; la «dévaluation interne» marque une intervention violente et déstructurante au niveau de la base productive de l’économie elle-même, ce qui hypothèque la consommation et l’État providence.
Dans le cas de la Grèce, c’est la «dévaluation interne» qui a été choisie pour faire face, nous l’avons dit, à la crise de la dette. Mais ainsi, elle a rendu la dette ingérable et a inévitablement imposé son «effacement partiel». La «dévaluation interne» a porté un coup fatal au tissu productif de l’économie et a en fait entraîné la faillite du pays. Faut-il alors penser que seule sa «sinisation» fera que la société grecque cessera de vivre au-dessus de ses moyens ? D’un autre côté, les gouvernants n’ont toujours pas expliqué pourquoi la dette n’était pas gérable quand elle était égale à 120% du PIB au début de la crise et le sera avec le même pourcentage en 2020, c’est-à-dire une fois que la société grecque sera exsangue. Surtout que, dans le premier cas, les créanciers n’auraient pas eu à subir le fameux «effacement partiel».
On entend dire également que la désagrégation de l’économie et la paupérisation forcée de la société amélioreront la compétitivité puisque la dévalorisation du marché du travail et de la richesse privée et publique éveillera l’intérêt des investisseurs et relancera l’économie. Indépendamment de ce que l’on peut penser de cette option, on convient que l’argument qui prétend que les Grecs vivaient au-dessus de leurs moyens était mensonger: il a servi de prétexte à l’objectif véritable du mémorandum, qui n’est manifestement pas de faire face au vrai problème de l’économie grecque, à savoir la dette, mais d’utiliser le pays comme cobaye dans la promotion du nouvel ordre européen. Sinon, la troïka n’aurait pas eu recours à l’effacement partiel. En tout état de cause, cette option renvoie au dogme des marchés, selon lequel l’intérêt de ces derniers prime celui des sociétés ou, dans le meilleur des cas, l’intérêt de la société s’identifie par définition à celui des marchés.
Cependant, dans le cas de la Grèce, le problème est que, de la sorte, la dimension politique de la crise est contournée. En effet, la crise grecque a pour cause première la transmutation partitocratique du système politique, l’appropriation et, au-delà, le pillage de l’État. Il n’est pas lieu d’expliquer ici la spécificité grecque. Contentons-nous de noter que, malgré tout ce qui se dit, ce phénomène est révélateur du déficit démocratique de la modernité et non du retard politique de la société grecque.
Dans ce cadre en tout cas, le mémorandum, prévu au départ comme un programme de sortie de la crise, est devenu une autre cause essentielle de l’impasse grecque. Et même, dans la mesure où il a choisi de transférer de manière univoque la charge de ses choix à la société sans s’attaquer à l’État, la société en déduira que la classe politique grecque sert de «véhicule» à l’instauration dans le pays de son propre despotisme, à côté de celui de la partitocratie grecque. En confondant la société grecque avec l’État, la troïka a perdu l’avantage de la légitimité. Ce n’est pas un hasard si la troïka, alors qu’elle va jusqu’à s’occuper en détail de l’imposition des chômeurs, n’a pas effleuré un seul instant les privilèges de la classe politique, les fondements de l’État dynastique ni, par extension, la fraude fiscale.
La troïka ne voit donc pas que sa politique, qui conjugue la paupérisation forcée de la société et la dissolution de l’État de droit et de l’État providence avec l’humiliation nationale, pourrait mener à l’accumulation d’un mélange détonant, capable de réduire à néant son entreprise. Peut-être ignore-t-elle un paramètre significatif de la société grecque, à savoir son aptitude à déverser son problème dans la cour de ceux qui foulent aux pieds sa liberté. Aptitude émanant de son niveau élevé de développement politique et de sentiment national, qui est sa qualité distinctive. De ce point de vue, si l’entreprise réussit en Grèce, alors elle ne rencontrera pas d’autres obstacles ; mais si elle échoue ou si son enjeu se diffuse dans l’espace européen en général, il est probable qu’elle déclenchera une succession de conséquences considérables au sein de l’Europe politique, et au-delà. Car cet enjeu, quant à son fond, dépasse largement le territoire grec.
3. Sous cet angle, j’estime qu’une réorientation radicale des lignes directrices du mémorandum s’impose, avant qu’il ne soit trop tard. Il faut comprendre que ce n’est pas le coût élevé du travail qui a occasionné la crise de la dette ou qui freine la croissance, et que l’on ne saurait imputer à l’économie grecque en général la cause de la crise. À l’heure actuelle, même si la société grecque offrait gratuitement son travail, nul ne viendrait investir en Grèce. Aucun nouveau «plan Marshall» ne suffirait pour que l’économie grecque renoue avec la croissance. Ce qu’il faut, ici et maintenant, c’est une refonte de l’État. Je veux parler du système politique, de l’administration publique et, substantiellement, de la législation.
Il n’est pas lieu d’énumérer ici les mesures requises pour cette refonte. Mais je peux affirmer que l’ensemble du système est à ce point pourri et a à ce point perdu sa légitimité, que si la troïka venait à l’abandonner, il s’effondrerait sur l’heure. Cela veut dire que la réforme peut et doit se faire très rapidement ; il suffit que ceux qui possèdent la force et soutiennent le régime aient la volonté politique de cette réforme. Mais cela présuppose une connaissance profonde du problème, pour que la réforme prenne la direction voulue et, surtout, produise des effets immédiats.
Citons brièvement les orientations générales d’une telle entreprise: dissolution de la base institutionnelle de la partitocratie et prise de mesures visant à reconnecter le personnel politique avec la collectivité sociale; reconstitution de l’administration publique avec pour point de mire l’efficacité sociale, avec tout ce que cela entraîne dans le domaine de sa structure, de la responsabilité personnelle du fonctionnaire et de l’intérêt légitime du citoyen. Le problème de l’administration grecque ne réside pas dans la qualité de son personnel, qui est élevée, mais dans son appropriation; pas tant dans la taille de l’État que dans son œuvre de pillage. Tout cela suppose, d’abord, une refonte intégrale de la législation. L’appropriation de l’État, la collusion d’intérêts et la corruption, la base clientéliste des politiques publiques et la logique dynastique du personnel politique reposent sur un arsenal juridique sophistiqué qui prend la société en otage et la contraint à agir selon ses prescriptions.
Cela incite à se demander si les options du mémorandum ne révéleraient pas un point de rencontre entre la classe politique grecque et la troïka: la première maintient intact son statut partitocratique et celui de ses partenaires au sein de l’État; la seconde trouve dans la classe politique grecque un allié tout disposé à faire passer ses choix à peu de frais, à savoir le principe de l’intérêt des marchés à l’intérieur de la zone euro, à commencer par la Grèce.
Ce n’est pas un hasard si la classe politique dans son ensemble, tirant profit des choix de la troïka, n’a pas touché jusqu’à présent, si peu soit-il, aux piliers de son statut: le caractère partitocratique du système politique, l’État administratif et la législation. Exemple caractéristique: les émoluments scandaleux du personnel politique et, sous cet angle, la gestion dispendieuse des finances de l’État, ainsi que, en tout état de cause, la question de la fraude fiscale. Celle-ci, bénéficiant de la haute protection des acteurs de la partitocratie, avait lieu au grand jour, sans précautions, à travers le système bancaire, etc. Il aurait suffi de comparer les mouvements des comptes de tout un chacun avec ses déclarations fiscales. Cette simple action aurait eu des résultats surprenants.
En conclusion, je pense qu’il est superflu de revenir sur la question de savoir ce qui a empêché jusqu’à ce jour la troïka d’aborder le problème grec à la lumière de la cause première de la crise. D’autant plus que le système partisan et, dans ce cadre, la classe politique, au-delà de leur caractère craintif et parasite, sont les otages du gouvernement allemand, principalement, qui détient les preuves de leur corruption, à travers les entreprises allemandes avec lesquelles ils ont fabriqué le large tissu de relations de corruption dans le pays. Je répéterai simplement ma remarque, que le dilemme «mémorandum ou faillite» de la Grèce est fausse car il contourne la cause première de la crise et la question de savoir qui va payer les frais. La sortie du pays de la crise et toute entreprise de relance de l’économie présupposent une réorientation complète du mémorandum: que l’on abandonne la «sinisation» forcée de la société et la démolition de la base économique du pays et qu’on libère leur dynamique des cliques oligarchiques. Libération qui ne surgira que d’une restructuration de fond en combles du système politique, de l’État et de la législation. Faute de quoi, je crains qu’il ne faille encore beaucoup de mémorandums jusqu’à la «solution finale». En attendant le dilemme qui réapparaîtra ne sera pas celui de la sortie de la Grèce de l’euro – les conditions géostratégiques s’y opposent radicalement –, mais celui du moment où, avec la complicité des dirigeants de l’Europe politique, la crise grecque ébranlera la stabilité sociale et économique de l’Union européenne. Inversement, je considère que le réexamen des orientations du mémorandum grec pourrait être le point de départ d’un approfondissement de l’Europe politique, face à la perspective d’une évolution vers une Europe allemande. D'une Europe qui servira l'intérêt de ses peuples ou bien l'intérêt des marchés.
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